Actualité européenne : entretien au Point pour la rentrée 2020

Entretien avec Emmanuel Berretta pour Le Point paru le 16 janvier 2020.
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Le Point : Le Brexit va poser des problèmes aux pêcheurs européens. En tant que membre de la commission Pêche du Parlement européen, comment envisagez-vous de traiter ce dossier ?

François-Xavier Bellamy : Nous allons au-devant d’un problème critique. Au total, plus de 30 % de la pêche française s’effectue dans les eaux britanniques – et jusqu’à 80 % pour certains ports des Hauts-de-France. Si ces eaux sont fermées aux pêcheurs européens, nous verrons aussi des bateaux d’autres pays (les pêcheurs des Pays-Bas en particulier, NDLR) se reporter sur les eaux françaises, accroissant encore la tension. Des milliers d’emplois, en mer et à terre, sont potentiellement menacés. Pour faire face à cette situation, il faudra d’abord une réponse d’urgence : les fonds européens dédiés à la pêche doivent pouvoir être mobilisés pour remédier à l’impact immédiat de la crise. Mais cette réponse provisoire ne doit surtout pas durer : les pêcheurs veulent vivre de leur travail, pas de subventions. Pour cela, il faudra obtenir des Britanniques qu’ils rouvrent leur zone de pêche, en faisant de ce principe une condition préalable à toute autre négociation, avant un accord commercial, par exemple. Si nous ne tenons pas fermement sur cette ligne, toute une filière déjà en tension risque d’être durement touchée. J’ajoute qu’il y a un enjeu écologique majeur sur ce sujet : la politique européenne, en lien avec les pêcheurs qui sont bien sûr les premiers concernés, a mis en œuvre des quotas qui permettent d’éviter la surpêche et de préserver les espèces. En échappant à ces contraintes, les Britanniques pourraient être tentés de relancer une pêche intensive qui serait catastrophique à terme pour la biodiversité dans les fonds marins.

Mais cette réponse provisoire ne doit surtout pas durer : les pêcheurs veulent vivre de leur travail, pas de subventions. Pour cela, il faudra obtenir des Britanniques qu’ils rouvrent leur zone de pêche, en faisant de ce principe une condition préalable à toute autre négociation

L’Union européenne peut-elle imposer des taxes sur le poisson britannique en cas de position très hostile des Britanniques sur leur zone de pêche ?

C’est une chimère de croire, comme semble le penser le ministre de l’Agriculture (Didier Guillaume, NDLR), que les taxes à l’entrée du marché européen suffiront à dissuader les Britanniques. Nous ne pourrons faire peser sur le poisson britannique une taxation dissuasive ; il ne s’agit pas en effet ici d’une position hostile des Britanniques susceptible de déclencher une mesure de rétorsion, mais simplement de la situation normale d’un pays tiers contrôlant sa zone économique exclusive. On ne mesure pas assez, en France, l’importance de ce sujet pour nos voisins de Grande-Bretagne, qui ont une très longue histoire maritime : retrouver la maîtrise de leurs eaux territoriales a été un argument important en faveur du Brexit. Boris Johnson avait brandi un hareng en meeting ! Si on traite la question de la pêche parmi les autres sujets de notre relation future avec la Grande-Bretagne, nous ne les ferons pas changer d’avis. Le seul moyen d’obtenir que leurs eaux restent ouvertes, c’est de faire de ce principe, comme je le disais, la condition de tout accord ultérieur. C’est un point dont nous parlons avec Michel Barnier, qui mènera ces négociations, et qui est très attentif à cet enjeu essentiel.

Au sein du PPE, les positions allemandes ont toujours été très orientées en faveur des accords de libre-échange. Les LR sont devenus plus hostiles à ce type d’accords. Quels arguments avancez-vous à l’encontre du Ceta ?

Le déficit commercial de la France, dû en particulier aux contraintes dont nous ne cessons de surcharger tous ceux qui produisent dans notre pays, nous rend plus frileux que les Allemands, qui exportent au contraire massivement. Mais au-delà de cette divergence économique, il me semble que nous sommes face à un tournant politique : il est urgent de rééquilibrer la mondialisation. J’avais déjà écrit sur ce sujet dans Demeure : nous ne pouvons pas à la fois déclarer l’urgence écologique et continuer à favoriser l’emballement des flux qui a contribué au déséquilibre climatique. Il est absurde de punir fiscalement le salarié français qui a besoin de sa voiture pour faire quelques kilomètres jusqu’à son lieu de travail, tout en facilitant l’importation depuis le bout du monde de biens que nous pourrions parfaitement produire ici.

Nous ne pouvons pas à la fois déclarer l’urgence écologique et continuer à favoriser l’emballement des flux qui a contribué au déséquilibre climatique.

Si l’on veut prendre la mesure du défi écologique, il faut commencer par ne pas rendre la viande canadienne plus compétitive sur nos marchés que la viande française – alors même que nous imposons des normes environnementales bien plus exigeantes à nos producteurs. Certains accords peuvent être utiles quand ils tirent tous les partenaires vers le haut. Mais tout accord n’est pas bon ; nous restons, par exemple, fermement opposés à l’accord UE-Mercosur. D’une manière générale, il nous faut réapprendre à produire ce que nous consommons. L’Europe peut jouer un rôle décisif dans ce rééquilibrage de la mondialisation, qui est attendu partout ; c’est une nécessité écologique, mais aussi bien sûr économique et sociale. C’est l’un des grands défis politiques de notre avenir.

De tous les thèmes que votre liste a défendus durant la campagne européenne, lesquels avez-vous pu inscrire dans les lignes directrices adoptées par le PPE ?

Dans ces premiers mois du mandat, notre groupe parlementaire a écrit, de façon concertée, plusieurs documents de programmation, qui définissent les lignes directrices du PPE pour les années à venir. Ces textes sont importants, car ils orienteront désormais la position de notre groupe, majoritaire au Parlement, dans les négociations et les votes. Nous avons travaillé dur pour transcrire nos engagements de campagne dans ces documents, et nous y sommes parvenus : la barrière écologique que nous avions proposée, par exemple, a été adoptée par le groupe, ce qui est inédit au PPE.

La négociation sur le budget européen pour la période 2021-2027 débute. Pensez-vous qu’il faille absolument augmenter ce budget pour se donner les moyens de nos ambitions ?

La vraie question n’est pas de dépenser plus, mais de dépenser mieux. Nous avons de nouvelles priorités, qu’il faut financer ; je pense, par exemple, au Fonds européen de défense, ou à la protection des frontières extérieures de l’Europe pour ne plus subir des flux migratoires incontrôlés. Il faut également faire face au départ de la Grande-Bretagne, qui retire un contributeur important au budget européen. Mais nous avons aussi beaucoup d’économies à faire, en rationalisant les programmes, en contrôlant mieux les engagements et les agences européennes, en conditionnant les aides aux pays que nous soutenons au respect de leurs engagements, par exemple sur le plan migratoire… D’une manière générale, il faut retrouver le principe de subsidiarité : les budgets européens doivent être engagés là où ils ont une efficacité supérieure à celle que chaque État obtiendrait isolément.

D’une manière générale, il faut retrouver le principe de subsidiarité.

Le Pacte vert sera la grande affaire de ce quinquennat. L’Europe se donne pour objectif d’être le premier continent neutre en émission de carbone d’ici à 2050. Cet objectif vous semble-t-il réaliste compte tenu des annonces d’Ursula von der Leyen lors de la session spéciale du Parlement à Bruxelles ?

Il faut bien sûr se donner des objectifs exigeants pour répondre au défi écologique. Avec le regard d’un nouvel élu, je suis frappé cependant que nous ayons des discussions interminables sur les objectifs, plutôt que sur les moyens. La question n’est pas : voulons-nous réduire nos émissions de carbone ? Mais : comment y parvenir ? Et c’est là que les débats sérieux devraient commencer. Certains élus par exemple, LREM ou écologistes, votent au Parlement européen pour appeler à la fermeture rapide des centrales nucléaires, alors que nous n’avons pas de solution alternative pour une énergie décarbonée. Voulons-nous vraiment imiter nos voisins allemands, qui ont dépensé des dizaines de milliards d’euros pour finir par rouvrir des centrales à charbon ? Certains élus sont prêts par idéologie à sacrifier les objectifs écologiques qu’ils disent défendre. Avec mes collègues en commission de l’environnement, Agnès Evren et Nathalie Colin-Oesterlé, nous voulons fixer, non seulement des buts exigeants, mais les moyens rationnels pour les atteindre.

Certains élus sont prêts par idéologie à sacrifier les objectifs écologiques qu’ils disent défendre. Certains élus par exemple, LREM ou écologistes, votent au Parlement européen pour appeler à la fermeture rapide des centrales nucléaires, alors que nous n’avons pas de solution alternative pour une énergie décarbonée.

Les tensions au Moyen-Orient peuvent déboucher sur une nouvelle crise migratoire. Où en est le PPE sur la réforme de l’asile et des migrations ? Entre la position de Merkel et celle d’Orban, la clarification est-elle en cours ?

C’est un sujet clé. L’Europe doit absolument se donner les moyens de maîtriser ses frontières extérieures. Le PPE a clarifié sa ligne, en adoptant la position que nous avions défendue pendant toute notre campagne : il faut mettre fin à l’impuissance européenne en matière migratoire. Un vote important a eu lieu sur ce sujet en octobre : les groupes de gauche, dont LREM, défendaient dans un texte sur la Méditerranée des positions totalement irréalistes, comme l’ouverture imposée des ports européens à tous les bateaux. Le PPE a voté contre ce texte, qui a été rejeté à quelques voix près. La solidarité et le droit d’asile sont massivement détournés aujourd’hui au profit de filières d’immigration illégales entretenues par des passeurs. Nous devons mettre fin à cette impuissance, et le PPE est uni sur ce sujet.

La solidarité et le droit d’asile sont massivement détournés aujourd’hui au profit de filières d’immigration illégales entretenues par des passeurs. Nous devons mettre fin à cette impuissance, et le PPE est uni sur ce sujet.

Les déclarations d’Emmanuel Macron sur « l’état de mort cérébrale de l’Otan » ont-elles laissé des traces au sein du PPE ?

Cette expression a fait beaucoup de tort. Il faut bien sûr s’inquiéter des errements stratégiques de l’Otan ; les récents événements, avec la Turquie ou l’Iran, le montrent assez. Mais avec une expression aussi virulente, le chef de l’État ne lance pas le débat, il l’empêche. Dans cette déclaration, comme l’a dit Arnaud Danjean (eurodéputé LR-PPE, NDLR), la forme a tué le fond. Il y a en Europe beaucoup de pays qui, pour des raisons historiques évidentes, sont aujourd’hui entièrement dépendants de l’Otan pour leur sécurité ; ils ne peuvent que très mal réagir si nous leur donnons le sentiment que nous voulons en finir avec ce qui constitue aujourd’hui leur principale protection. Quand on veut défendre un point de vue, mieux vaut l’exprimer avec sérieux, sans arrogance, en cherchant à rejoindre ses interlocuteurs. Il ne suffit pas de déclarer, il faut convaincre.

Justement, vous êtes le corapporteur du Fonds européen de défense. Avez-vous le sentiment que les Américains sont décidés à laisser l’Europe s’émanciper pour assurer sa propre défense ?

Les États-Unis sont nos amis et nos alliés ; mais ils ne sont pas nos suzerains, et nous ne sommes pas leurs vassaux. L’Otan restera, bien sûr, un partenaire essentiel ; mais en complément de son action, les pays d’Europe doit impérativement se donner les moyens d’une vraie autonomie stratégique : le Fonds européen de défense est une initiative essentielle pour y parvenir. Il s’agit d’investir dans l’industrie de défense en Europe pour développer des moyens qui nous permettent de nous engager sans dépendre d’autres grandes puissances.

Les États-Unis sont nos amis et nos alliés ; mais ils ne sont pas nos suzerains

C’est une nécessité pour notre liberté et notre souveraineté, mais aussi pour préserver la paix : nous le voyons mieux que jamais, le monde qui se dessine a besoin d’un pôle indépendant pour permettre un équilibre dans les tensions entre les blocs qui se font face aujourd’hui.

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