« Une patrie intellectuelle »
Une fois n’est pas coutume, je me contente de reproduire ici quelques extraits d’un texte entendu aujourd’hui : il s’agit du discours prononcé par le doyen de l’Assemblée Nationale, François Scellier qui, comme le veut la coutume, a ouvert cet après-midi les travaux de la nouvelle législature. Le bref discours qu’il a prononcé à cette occasion est tout simple, comme sa brièveté l’exigeait ; mais il pose, non sans humour, de bons principes et de belles questions. Il restera sans doute totalement ignoré, et c’est dommage : si les débats parlementaires qui s’ouvriront bientôt pouvaient être à l’image de ces premiers mots, nous serions des électeurs comblés…
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Discours du Président de Séance, François Scellier
Monsieur le ministre, mes chers collègues, je dois au seul privilège de l’âge d’ouvrir aujourd’hui les travaux de notre assemblée. C’est un honneur, le plus grand peut-être de ma vie de parlementaire.
Vous comprendrez que je ressente une forte émotion à cet instant, comme sans doute nos 218 collègues qui se sont installés pour la première fois dans cet hémicycle. Cette émotion est d’autant plus forte qu’outre la présence de ma famille à la tribune je sais que ma maman, qui vient d’avoir cent ans, me regarde à la télévision. (Applaudissements.)
J’ose à peine parler d’elle, de crainte de désespérer, si je bénéficie des mêmes gênes, ceux qui attendent sûrement avec une certaine impatience de prendre ma place et qui pourraient se demander si je ne serais pas capable de renouveler l’exercice à la prochaine législature. (Rires et applaudissements.)
Cette présidence du doyen d’âge, par laquelle commence chaque législature, exprime ce miracle de la démocratie et de la république (…) : au-delà de la majorité et de l’opposition, nous sommes tous ensemble l’Assemblée nationale et non l’assemblée des partis. Au-dessus de chacun d’entre nous et de nos différences, il y a la République une et indivisible, qui s’impose à nous comme une exigence non pas seulement politique, mais aussi morale.
C’est une cause que, dans les affrontements inhérents à toute démocratie, nous ne devons jamais perdre de vue, quelle que soit la passion légitime que nous mettons dans nos débats.
C’est un devoir plus grand encore dans les circonstances où se trouve notre pays, alors qu’il doit affronter des crises d’une gravité telle qu’elles peuvent mettre en danger, nous le pressentons tous, notre indépendance, voire notre démocratie. (…)
Dans les circonstances actuelles, je vous le dis, mes chers collègues, les Français ne nous pardonneraient pas une autre attitude que celle inspirée par une saine vertu républicaine. (…) Comme l’a si bien écrit Tocqueville au sujet de la Révolution française, faisons de notre assemblée législative une « patrie intellectuelle » où tous les arguments peuvent être entendus, où le sérieux des débats prévaut sur les effets de manche, où l’intérêt général structure notre action.
Soyons des éveilleurs de conscience. (…) En ces temps difficiles, nous devons veiller à conserver le bon sens comme boussole et le bien commun comme horizon.
Mes chers collègues, ce petit exercice de prise de recul n’est pas une invitation à la contemplation. C’est bien davantage un exercice de salubrité intellectuelle pour se poser les bonnes questions : pourquoi, comment et pour qui nous sommes-nous engagés ?
Entré tard en politique, j’ai parcouru le trajet classique d’un élu de terrain. Je dois avouer que ce n’est pas la plus mauvaise école. Je vous ai parlé du privilège du doyen en commençant ce propos, mais je ne compte pas en abuser longtemps. Pour clore cette réflexion sur notre mission de parlementaire, je vous livre ces mots de Tzvetan Todorov : « L’existence humaine ressemble à ce jardin imparfait […]. Elle est ce lieu où nous apprenons à fabriquer de l’éternel avec du fugitif, où le hasard d’une rencontre se transforme en nécessité de vie. »
Cette sagesse, transposée au mandat que le peuple français nous a confié, nous commande d’être des jardiniers conscients que les tailles, les coupes, les semis auront plus ou moins d’effets, bénéfiques ou non, de court ou de long terme. En dépend la floraison ou son dépérissement.
C’est donc en jardiniers responsables que nous devons nous comporter, toujours soucieux de la prochaine récolte. (Applaudissements.)
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