« On ne va jusqu’à l’espérance qu’à travers la vérité. »

Est-il encore possible de souhaiter une bonne année 2013 ? Alors que les médias semblent ajouter chaque jour une ligne à la litanie des épreuves qui doivent s’abattre sur nous, alors que notre pays semble ajouter ses propres crispations à la crise qui frappe largement le monde occidental, alors que tant d’entre nous, et tant de jeunes en particulier, souffrent déjà de l’injustice d’une société qui fait payer aux plus fragiles le résultat de ses inconséquences… Non, il semble que sacrifier au rite des vœux de bonne année soit décidément difficile.

A l’heure où j’écris ces lignes, le Président de la République a enregistré son allocution de vœux, qui sera diffusée ce soir. Il veut porter, nous disent les médias, un message d’optimisme. Le terme est étonnant. Il ne suffira pas que nous nous forcions à y croire pour que tout aille mieux. Aucune crise, personnelle ou collective, ne se résout sans un effort de lucidité. Il me semble que notre vie publique aurait bien besoin de cet effort-là aujourd’hui. L’optimisme le plus engagé ne saurait nous en dispenser.

Aussi je vous laisse, en guise de vœux, ce beau texte de Bernanos, que j’ai lu et relu des centaines de fois dans les dernières années. Extrait des Essais et écrits de combats, il a été écrit en 1942, à un moment où il était plus difficile que jamais, sans doute, de croire en un avenir meilleur. Dans des circonstances pourtant bien différentes, il dit tout, me semble-t-il, de ce dont nous avons besoin pour l’année qui vient. Je ne nous souhaite rien de mieux que le courage de l’espérance ; et dans cette espérance, je vous souhaite de tout coeur, à vous qui visitez ces pages – par amitié, par curiosité ou par hasard – une belle et heureuse année 2013 !

 

« Les gens qui me veulent trop de bien me traitent de prophète. Ceux qui ne m’en veulent pas assez me traitent de pessimiste. Le mot de pessimisme n’a pas plus de sens à mes yeux que le mot d’optimisme, qu’on lui oppose généralement. Le pessimiste et l’optimiste s’accordent à ne pas voir les choses telles qu’elles sont. L’optimiste est un imbécile heureux. Le pessimiste est un imbécile malheureux. (…)

Je sais bien qu’il y a parmi vous des gens de très bonne foi, qui confondent l’espoir et l’optimisme. L’optimisme est un ersatz de l’espérance, dont la propagande officielle se réserve le monopole. Il approuve tout, il subit tout, il croit tout, c’est par excellence la vertu du contribuable. Lorsque le fisc l’a dépouillé même de sa chemise, le contribuable optimiste s’abonne à une revue nudiste et déclare qu’il se promène ainsi par hygiène, qu’il ne s’est jamais mieux porté.

Neuf fois sur dix l’optimisme est une forme sournoise de l’égoïsme, une manière de se désolidariser du malheur d’autrui.

C’est un ersatz de l’espérance, qu’on peut rencontrer facilement partout, et même, tenez par exemple, au fond de la bouteille. Mais l’espérance se conquiert. On ne va jusqu’à l’espérance qu’à travers la vérité, au prix de grands efforts et d’une longue patience. Pour rencontrer l’espérance, il faut être allé au-delà du désespoir. Quand on va jusqu’au bout de la nuit, on rencontre une autre aurore.

Le pessimisme et l’optimisme ne sont à mon sens, je l’ai dit une fois pour toutes, que les deux aspects, l’envers et l’endroit d’un même mensonge. Il est vrai que l’optimisme d’un malade peut faciliter sa guérison. Mais il peut aussi bien le faire mourir s’il l’encourage à ne pas suivre les prescriptions du médecin. Aucune forme d’optimisme n’a jamais préservé d’un tremblement de terre, et le plus grand optimiste du monde, s’il se trouve dans le champ de tir d’une mitrailleuse, est sûr d’en sortir troué comme une écumoire.

L’optimisme est une fausse espérance à l’usage des lâches et des imbéciles. L’espérance est une vertu, virtus, une détermination héroïque de l’âme. La plus haute forme de l’espérance, c’est le désespoir surmonté.

Mais l’espoir lui-même ne saurait suffire à tout. Lorsque vous parlez de « courage optimiste », vous n’ignorez pas le sens exact de cette expression dans notre langue et qu’un « courage optimiste » ne saurait convenir qu’à des difficultés moyennes. Au lieu que si vous pensez à des circonstances capitales, l’expression qui vient naturellement à vos lèvres et celle de courage désespéré, d’énergie désespérée. Je dis que c’est précisément cette sorte d’énergie et de courage que notre pays attend de nous. »

.

Georges Bernanos, Essais et écrits de combat

3 réponses

Les commentaires sont désactivés.