Délit de démocratie
Avec sans doute plus d’un million de Français, parmi lesquels des centaines d’élus, j’ai manifesté cet après-midi. Le décalage entre la réalité de cette manifestation et les réactions des responsables politiques de la majorité, ce soir, ce contraste est si étonnant que l’on se demande s’il reste encore un peu d’honnêteté, d’exigence intellectuelle ou de simple bonne foi chez ceux qui nous gouvernent.
Nous voulions juste dire qu’il nous semble qu’un enfant a le droit de grandir avec un papa et une maman ; et Denis Baupin, vice président de l’Assemblée nationale, nous a considérés comme « une pluie de déjections homophobes. »
Nous voulions dire notre désir d’un vrai débat de fond ; et le député Yann Galut répète qu’ « il faut passer à autre chose. »
Nous voulions ouvrir le dialogue ; et le sénateur Jean-Pierre Michel affirme que nous avons « perdu la bataille. »
Nous nous sommes rassemblés, puis dispersés – une foule entière ! – dans un grand calme ; les quelques familles qui avaient commis le crime d’être placées à l’avant et poussées par la foule ont été repoussées à coups de matraque… Mais Manuel Valls, ministre de l’Intérieur, estime que « la manifestation a échappé aux organisateurs. »
Nous étions, à tout le moins, des centaines de milliers ; mais Arnaud Montebourg, membre du gouvernement, n’a vu qu’ « une poignée d’individus. »
Nous venions de toute la France, dans sa diversité ; mais le sénateur Michel s’est bien moqué quand même : « quelques serre-têtes et jupes plissées pensent sincèrement que nous allons reculer sur le mariage pour tous ! » Monsieur Michel, la myopie se soigne ; la mauvaise foi, c’est peut-être plus difficile. Pour la guérir, allez donc jeter un coup d’oeil aux photos de la manif…
Nous venions de toute la France, et beaucoup d’entre nous avaient passé une journée, une nuit, en train, en car ou en voiture, pour porter le message qui leur tenait à coeur. Des centaines de milliers de personnes ont donné de leur temps, et de leur argent, pour ne pas manquer ce rendez-vous. J’ai même croisé cet après-midi des étudiants qui, passant un an à l’étranger, ont économisé pour s’offrir un aller-retour en France, eux qui voulaient tant que leur pays les entende ; et la seule réponse du député Erwann Binet aura consisté à s’interroger sur « l’origine des fonds qui ont financé ces déplacements. » Leur générosité, Monsieur Binet – la voilà l’origine des fonds !
Voilà aussi ce que vous ne comprenez pas, ce que vous faites semblant de ne pas comprendre. La générosité n’est pas dans l’égalité que vous promettez d’une voix doucereuse, dans l’hypocrisie d’un débat dont votre peur aura privé les Français. Un débat que vous avez morcelé, étouffé, empêché en culpabilisant dès le départ toute opinion différente de la vôtre. Non, la vraie générosité n’aurait pas de raison de craindre ainsi le dialogue, elle n’aurait pas de raison de s’exprimer par l’insulte, le mensonge et le mépris.
La vraie générosité tient parfois dans la franchise d’un non courageux. Et cette générosité, elle était à Paris aujourd’hui. Je l’ai rencontrée partout, loin du bruit médiatique et des gaz lacrymos ; dans le sourire de ces jeunes, de ces vieux, de ces parents, de ces adolescents, venus dire ensemble que non, non, décidément non, ils ne pouvaient se résoudre à laisser leur pays s’engager dans la voie de l’injustice. Que non, le droit républicain ne peut pas priver un enfant d’un père ou d’une mère. Que non, on ne construit pas une vraie égalité sur le mensonge d’une fausse uniformité. Que non, ces élus qui pensaient la même chose que nous il y a dix ans ne peuvent pas nous insulter aujourd’hui pour la cohérence qu’ils n’ont pas eue. Et que non, il n’y a rien de haineux, ni d’homophobe, dans le désir de voir la loi mise au service du plus petit plutôt que du désir de l’adulte, si respectable soit-il.
Qui porte la responsabilité de la tension qui naît ? Qui se rend coupable d’insultes, qui abîme la démocratie ? Qui suscite la violence dont souffrent aujourd’hui tant de personnes – à commencer par les nombreux homosexuels qui vivent tellement mal le fait que le droit légitime à voir reconnue leur différence sombre dans une confusion totale, faute d’un vrai dialogue sur cette question ?
Nous savons tous que, dans nos vies, dans nos relations, il y a parfois des non qui sauvent, et des oui qui tuent. Il y a des oppositions fécondes, et des silences mortifères. Il y a des conflits nécessaires, et souvent des conforts coupables. Aujourd’hui, il fallait bien du courage pour venir dire ce non, ce simple non à des promesses irresponsables, à une pose idéologique, à un cadeau piégé qu’une minorité veut offrir aux homosexuels – ce non que tentent d’étouffer tant de haine et de caricatures. Oui, il fallait bien du courage ; et c’est seulement une courageuse générosité qui a poussé plus d’un million de Français, aujourd’hui encore, à venir dire ce non franc et simple.
La faute morale consisterait maintenant à refuser de les entendre.
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