En pleine crise, discret reniement
Toute l’Europe fait face à une épidémie de grande ampleur, dont les conséquences sanitaires, sociales et économiques sont immenses ; au plus fort de cette crise, le Conseil des chefs d’Etat et de gouvernement européens a décidé hier soir… l’ouverture des discussions en vue d’un futur élargissement de l’Union européenne à la Macédoine du Nord et à l’Albanie. Cette décision est aberrante. Le conseil devait se concentrer sur l’urgence absolue qu’impose le coronavirus ; et de fait, les chefs d’Etat et de gouvernement européens ne devraient avoir pour seul ordre du jour aujourd’hui que la coopération nécessaire pour répondre à la crise. Cet agenda improbable est le signe d’une inquiétante déconnexion de la réalité.
Sur le fond, cette décision est aussi le résultat d’un triste reniement du gouvernement français. Vous vous en souvenez sans doute : pendant la campagne européenne, nous étions accusés de mentir lorsque nous rappelions qu’Emmanuel Macron s’était dit favorable à l’entrée des Balkans dans l’UE… Le gouvernement et la liste LREM affirmaient solennellement leur opposition à cet élargissement. Il aura suffi de quelques mois pour renier la parole donnée, et montrer que nous disions vrai : hier soir, le Président a soutenu l’ouverture des négociations d’adhésion de l’Albanie et de la Macédoine du Nord. Soutien bien discret, au milieu d’une crise majeure qui occupe l’attention des Français… Mais les faits sont là : une simple opposition de sa part, au cours de cette réunion, aurait suffi à empêcher cette décision. Pour expliquer son revirement, l’exécutif prétexte une modification du processus d’adhésion. Mais un ajustement dans les méthodes de négociation ne change rien au problème de fond : faut-il poursuivre aujourd’hui l’élargissement de l’UE ?
Notre réponse est claire et constante : l’Union européenne doit d’urgence se consolider, et faire d’abord la preuve qu’elle peut être efficace ; nous voyons plus que jamais le chemin à faire pour cela, dans la crise que nous traversons. Cette conviction n’est pas consensuelle parmi les élus européens, mais ce n’est pas une raison pour renoncer à la défendre. Alors que le Président lui-même déplore le manque de réactivité des institutions européennes actuelles, il est incompréhensible qu’il soutienne aujourd’hui la poursuite de l’élargissement, si peu cohérent qui plus est au regard de la situation de ces deux pays. L’Europe doit tisser par la politique de voisinage un lien fort avec la région des Balkans ; mais la vérité oblige à assumer que sa première responsabilité est de se réformer, non de s’élargir.