Il est vital aujourd’hui de reconstruire une alternative crédible.
Entretien paru dans Le Figaro le 27 mai 2020. Propos recueillis par Emmanuel Galiero.
LE FIGARO – Au terme de votre première année de mandat, le PPE vous a désigné pour conduire une réflexion sur la droite. De quoi s’agit-il ?
François-Xavier BELLAMY – Dans un paysage politique de plus en plus fragmenté, la droite n’a plus la vision, la stratégie d’ensemble qui lui permettraient d’être audible. Elle doit se remettre à travailler sur le fond pour retrouver une parole claire. En échangeant avec des élus d’autres pays européens, je vois à quel point la décomposition politique que nous connaissons en France se vérifie ailleurs, en Italie, en Espagne, en Allemagne même : partout on observe le développement de partis contestataires qui concentrent une colère impuissante, la poussée d’un mouvement “vert” qui semble souvent servir une idéologie plus qu’une véritable écologie, ou d’un progressisme totalement déconnecté des aspirations populaires, qui n’arrive qu’à accroître encore les tensions sociales. Dans ce contexte, les partis politiques de droite ne peuvent survivre si leur vision reste incertaine, ambiguë, paresseuse. Beaucoup de nos alliés européens font face comme nous à de vraies difficultés. Après un long débat sur le sujet avec les chefs des délégations nationales du PPE, notre président, Manfred Weber, m’a demandé de conduire un travail de fond pour redéfinir l’identité de la droite en Europe, et notre groupe m’a élu pour mener à bien cette mission. Avec une équipe de députés européens, auquel nous associerons des parlementaires nationaux, nous allons maintenant travailler méthodiquement pour affronter toutes les questions auxquelles la droite n’a pas toujours su faire face. Le but est de produire un texte de fond qui doit être discuté et adopté en novembre, avec l’ambition de contribuer à un nouveau départ, et de parler largement au grand public en Europe. Cela sera un signal fort envoyé à tous ceux qui ont perdu confiance en notre famille politique parce qu’elle semblait incapable de se remettre en question : il est vital aujourd’hui de reconstruire une alternative crédible qui puisse redonner espoir.
Dans ce contexte, les partis politiques de droite ne peuvent survivre si leur vision reste incertaine, ambiguë, paresseuse. Beaucoup de nos alliés européens font face comme nous à de vraies difficultés. Manfred Weber, m’a demandé de conduire un travail de fond pour redéfinir l’identité de la droite en Europe.
Chez Les Républicains, la définition du libéralisme fait débat. Qu’en pensez-vous ?
Il y a en effet un problème de définition. Mais il est difficile d’admettre que notre pays, champion des normes et des prélèvements obligatoires, souffre d’être trop “libéral”. Prétendre que la défaillance de l’Etat dans ses missions régaliennes pourrait être réglée en augmentant la dépense publique, alors que nous sommes déjà les premiers au monde en la matière, relève d’une forme de paresse intellectuelle… En vérité, malgré le dévouement des acteurs de terrain, nous subissons surtout les effets d’une incroyable désorganisation de l’Etat, d’une hyper-administration contre-productive, de la complexité du millefeuille territorial, qui asphyxient l’initiative et déresponsabilisent les corps intermédiaires. Nous devons avoir ce débat sans céder à la démagogie ou au simplisme, mais en osant regarder la vérité en face.
Beaucoup pensent que la droite retrouvera une voix en France quand elle aura trouvé son candidat pour 2022. Quel est votre avis ?
La première urgence, qui concerne le travail de fond, afin de retrouver une ligne claire et solide à proposer demain à la France. Christian Jacob a réuni des équipes thématiques pour avancer sur chaque sujet : sur les questions européennes par exemple, nous échangeons régulièrement avec nos collègues de l’Assemblée et du Sénat, avec des experts… C’est la priorité aujourd’hui. La question de l’incarnation sera bien sûr déterminante, et elle devra évidemment être tranchée le moment venu ; mais ce n’est pas la priorité aujourd’hui.
Que pouvez-vous dire sur le fonctionnement de l’Union européenne aujourd’hui ?
Au bout d’un an de mandat, j’observe que toutes les grandes intuitions de notre campagne se sont vérifiées : nous voulions d’une Europe qui ne se contente plus de créer des normes et des règles de concurrence, mais qui respecte une véritable subsidiarité, tout en retrouvant une vision stratégique dans la mondialisation. Cette perspective est plus urgente que jamais ! Mais je mesure l’ampleur du changement qu’il faut réussir à imposer… Au milieu d’une crise qui a montré que notre autonomie alimentaire était un enjeu crucial, c’est à Greta Thunberg que la Commission demande des conseils pour réformer la politique agricole commune. Et au moment où il apparaît plus nécessaire que jamais de protéger notre marché européen pour retrouver une capacité de produire, le commissaire au commerce extérieur parle de nouveaux accords de libre-échange avec les Etats-Unis ou le Mercosur… L’Union européenne est encore piégée par une vision idéalisée et naïve de la mondialisation : certains nous expliquent que, pour ne plus manquer de masques à l’avenir, il n’est pas nécessaire de retrouver les moyens d’en fabriquer, mais simplement s’assurer d’avoir plusieurs fournisseurs. Au lieu de ne plus dépendre enfin d’autres acteurs, on nous propose de multiplier cette dépendance, comme si les chocs globaux et les rapports de force n’existaient plus ! Les dirigeants européens peinent à prendre conscience que l’histoire est de retour, et qu’il faut se préparer pour ne pas subir les crises futures et la puissance croissante des autres acteurs. L’épidémie actuelle est un avertissement clair : l’avenir de l’Europe dépend des leçons qu’elle saura en tirer.
L’Union européenne est encore piégée par une vision idéalisée et naïve de la mondialisation. Les dirigeants européens peinent à prendre conscience que l’histoire est de retour, et qu’il faut se préparer pour ne pas subir les crises futures et la puissance croissante des autres acteurs.
Ces « dogmes » sont-ils les moteurs de l’élargissement défendu par certains ?
Oui, et c’est d’ailleurs un autre exemple de cette absence de lucidité… En plein milieu de la crise du Coronavirus, Emmanuel Macron a accepté le processus d’élargissement pour l’Albanie et la Macédoine du Nord. Après avoir promis de s’y opposer pendant toute la campagne européenne… C’est un pas de plus dans l’impasse qui a condamné l’Union à tant de paralysie et de dangereuses tensions, notamment sur le plan migratoire, économique, ou même démocratique !
Comment la complexité des institutions européennes s’illustre-t-elle ?
Le Parlement négocie en permanence avec la Commission et le Conseil des chefs d’Etat et de gouvernement, pour déterminer la législation. Dans cette mécanique institutionnelle, il faut vraiment être un combattant si l’on veut obtenir des avancées. Avec notre délégation, nous avons parfois emporté la décision, par exemple avec la désignation de Thierry Breton au sein de la Commission : malgré les critiques d’Emmanuel Macron, nous avons rendu un vrai service à la crédibilité de la France, qui aurait été fortement atteinte si la commissaire que le Président avait désignée avait été confirmée. Mais dans l’effet d’inertie de cet univers complexe, toute bataille remportée suppose un engagement total.
Malgré ses pesanteurs, l’Union européenne vous semble-t-elle prête à se réformer ?
C’est la grande question. Soit l’Europe changera, soit elle disparaîtra. Si les Européens ne prennent pas toute la mesure de leur vulnérabilité aujourd’hui, ils sortiront de l’histoire. Une Europe obligée d’aller quémander en Chine les produits nécessaires à sa survie, ou dépendante technologiquement des plateformes numériques américaines est une Europe sans avenir, parce qu’elle se rend otage de puissances extérieures qui décideront de son destin.
Avec 500 milliards d’emprunt, le plan de relance franco-allemand vous semble-t-il à la hauteur des enjeux ?
En réalité, ce plan est issu d’un projet que la commission construisait depuis plusieurs semaines. Ce que l’on a beaucoup évoqué, c’est un accord entre la France et l’Allemagne sur ce projet ; mais mettre en scène une discussion à deux ne suffit pas à convaincre les 25 autres… Et quand j’entends Nathalie Loiseau faire la leçon aux pays qui osent s’inquiéter d’un dérapage budgétaire incontrôlé, de la part d’un Etat qui n’a pas su faire un budget à l’équilibre depuis près de cinquante ans, je me dis que décidément LREM n’est pas près d’aider les Français à passer enfin pour moins arrogants, ni plus crédibles… Concernant ce projet d’emprunt européen, je suis très réticent : qui dit emprunt dit responsabilité budgétaire ! Nous rêvons d’asseoir notre endettement sur les excédents de l’Allemagne et des pays nordiques. Mais si nous créons cette solidarité budgétaire, cela impliquera de soumettre nos politiques nationales à un contrôle encore plus étroit de l’échelon européen. La fourmi ne prêtera pas à la cigale sans vérifier qu’elle va arrêter de chanter. Quand on voit le rejet que suscite la règle des 3%, imposée par la simple solidarité monétaire, on comprend qu’Emmanuel Macron n’ait pas parlé aux Français des conditions déjà exigées par l’Allemagne à ce plan de relance… Or s’il nous faut faire des réformes, ce doit être à notre initiative et pour préparer notre avenir, et non sous l’injonction d’une autorité extérieure. La décision budgétaire est l’expression la plus concrète de la responsabilité démocratique : elle ne peut pas être transférée sans une atteinte absolue à la souveraineté d’un pays. Ceux qui voient ici l’occasion de ressusciter le vieux rêve fédéraliste en créant un contrôle de fait des Etats à travers un endettement commun, courent le risque de constituer une nouvelle pomme de discorde, susceptible à terme de faire exploser l’Union européenne. Je crois à une Europe qui renforce nos pays, et non qui les remplace ; de ce point de vue, je le dis depuis plusieurs semaines, il me semble infiniment préférable de mobiliser rapidement le budget européen avec un effet de levier pour que les Etats et les entreprises financent des besoins concrets et urgents, plutôt que de provoquer de longs débats et des tensions profondes sur un endettement commun.
La décision budgétaire est l’expression la plus concrète de la responsabilité démocratique : elle ne peut pas être transférée sans une atteinte absolue à la souveraineté d’un pays. Ceux qui voient ici l’occasion de ressusciter le vieux rêve fédéraliste en créant un contrôle de fait des Etats à travers un endettement commun, courent le risque de constituer une nouvelle pomme de discorde
Comment avez-vous vécu l’épisode du Brexit en janvier ?
Pour la première fois, un Etat membre a choisi de quitter l’Union européenne. On a trop vite oublié ce que cela signifiait. Beaucoup se sont rassurés en affirmant que le Brexit avait gagné grâce à des “fake news”; il y en a eu, comme dans bien des campagnes hélas, et sans doute dans chaque camp. Mais si une majorité de Britanniques a voté pour sortir de l’Union, c’est qu’elle considérait qu’appartenir à l’Union européenne fragilisait leur pays au lieu de le renforcer. Si les Européens ne comprennent pas cela, il y aura d’autres Brexit.
Quelle réflexion vous inspirent Emmanuel Macron et Bruno Le Maire quand ils parlent de « souveraineté nationale » ?
Quelle incroyable contradiction avec ce qui était au coeur même de la vision d’En Marche ! Durant les élections européennes, le responsable du pôle Idées de LREM, Aurélien Taché expliquait que le projet de son mouvement était de transférer la souveraineté française à l’échelle européenne. Un an plus tard, on nous explique qu’il faut repenser la souveraineté nationale. Emmanuel Macron déclarait en 2017 que « le protectionnisme, c’est la guerre » ; maintenant il affirme que délocaliser a été une folie… Il voudrait nous faire croire qu’il se réinvente. En réalité, il me fait l’effet d’un comédien changeant de texte après avoir constaté que la pièce d’avant ne marchait pas. Malheureusement, personne ne peut croire ces revirements. Et la principale victime de ces zigzags idéologiques, c’est la clarté du débat démocratique… Je le répète depuis l’apparition d’En Marche : l’inconsistance du “en même temps” rend impossible une conversation civique claire, qui puisse servir le discernement des Français et exprimer la réalité des clivages qui traversent la société. En adoptant, pour tout projet politique, de médiocres stratégies de communication qui se succèdent dans une incohérence absolue, Emmanuel Macron a profondément dévitalisé notre démocratie, et alimente ainsi les colères qui menacent désormais de la déborder.
Emmanuel Macron voudrait nous faire croire qu’il se réinvente. En réalité, il me fait l’effet d’un comédien changeant de texte après avoir constaté que la pièce d’avant ne marchait pas.
Il vous reste quatre années de mandat européen. Quelles sont vos ambitions ?
Notre boussole est le projet que nous avons défendu pendant la campagne, qui est plus que jamais d’actualité : une Union européenne qui se concentre enfin sur ses missions fondamentales, qui créé les conditions d’une vraie autonomie stratégique pour nos pays dans les secteurs essentiels, restaurant ainsi la capacité de l’Europe à agir face aux crises futures et aux autres puissances mondiales. Pour ne plus subir ce qui lui arrive, comme nous le vivons aujourd’hui, l’Europe doit se souvenir qu’elle n’est pas un projet pour cogérer le déclin, mais une civilisation millénaire indispensable à l’équilibre du monde de demain. Je le crois plus que jamais.