« Un État tracassier avec les citoyens paisibles, et faible avec les délinquants : jusqu’à quand ? »
Tribune publiée avec David Lisnard et Hervé Morin dans Le Figaro du 8 mars 2021.
L’État recule face aux émeutes quotidiennes, aux trafics, aux violences meurtrières de bandes – mais évacue les promeneurs du dimanche et inflige 135 euros à qui sort après 18h. Révolte et propositions.
Alors que l’État régalien recule face à ceux qui nuisent, il multiplie les interdits qui pénalisent la majorité silencieuse et civique. Cette situation est une source grave d’injustice dont chacun sait qu’elle est le ressort de la révolte. À Noisiel où des feux d’artifice ont été tirés en pleine nuit et en plein couvre-feu au beau milieu des habitations, à Lyon, à Rilleux-la-Pape, à Amiens, à Beauvais, où des émeutes ont lieu depuis plusieurs jours, et dans tant d’autres communes, de tels faits se multiplient et l’ordre républicain n’est plus respecté.
Ce n’est pas la présence sur place au lendemain d’une nuit de guérilla urbaine du Premier ministre ou du ministre de l’Intérieur qui changera quoi que ce soit à cet état de fait.
Aucune ville française n’est aujourd’hui à l’abri de ces troubles, de ces débordements, des violences de bandes pouvant entraîner la mort d’adolescents de 14 ou 15 ans, d’agressions gratuites, de rodéos sur la voie publique, de trafics, d’habitants contrôlés par des dealers pour pouvoir rentrer chez eux, de commissariats pris pour cibles. Et ce n’est pas la présence sur place au lendemain d’une nuit de guérilla urbaine du Premier ministre ou du ministre de l’Intérieur qui changera quoi que ce soit à cet état de fait. Ces opérations de communication ne font même qu’amplifier l’image d’un pouvoir impuissant.
Dans le même temps, il est demandé aux riverains qui subissent ces troubles récurrents à l’ordre public de respecter des contraintes sanitaires rappelées par tous les moyens les plus infantilisants et de rentrer chez eux à 18 heures, sous peine de se voir infliger une amende de 135 euros. Ceux qui les empêchent de dormir et de vivre normalement s’en dispensent sans être inquiétés.
Cela fait bien longtemps en effet que l’État s’en prend souvent aux plus faibles avec des manières confinant parfois à l’autoritarisme tandis qu’il se montre pusillanime avec les plus forts, ceux qui ne le craignent pas. Comme trop souvent en France, quand le pouvoir est incapable de sanctionner l’abus de quelques-uns, il contraint l’usage pour tous. Il ne sait visiblement plus comment agir avec efficacité, dépassé par des événements qu’il a lui-même alimentés depuis tant d’années, du fait d’un laxisme judiciaire avéré et d’un abandon presque méthodique de certains quartiers à la loi des bandes.
Les exemples pullulent de cas dans lesquels les forces de l’ordre n’interviennent pas, soit par manque de consignes qui résulte des renoncements hiérarchiques et de lâchetés politiques, soit par manque de cadre juridique le permettant. Même pour des discothèques sauvages dans des villas ou appartements loués, qui perturbent des quartiers entiers en pleine ville – nous en savons quelque chose à Cannes, – les forces de l’ordre ne peuvent faire cesser le trouble, et sont limitées en droit à dresser des amendes de troisième classe d’un montant dérisoire (68 euros). Que dire aux riverains légitimement exaspérés?
Dans un autre registre, comment donner tort à ceux qui estiment que « ce sont toujours les mêmes qui trinquent » quand chaque jour des crimes et délits sont commis par des multirécidivistes à maintes reprises interpellés par la police et trop souvent remis en liberté? L’exemple la semaine dernière à Reims d’un étranger de 21 ans, arrivé en France en 2018, déjà condamné à huit reprises pour vols, trafics de stupéfiants et violence, ayant agressé un journaliste dont le pronostic vital est engagé, est symptomatique.
Comment également admettre que plus de 90 % des déboutés du droit d’asile et tant d’immigrés en situation illégale ne soient pas expulsés et demeurent sur le territoire national ? C’est le cas de ce clandestin soudanais qui a tué le directeur d’un centre d’accueil de demandeurs d’asile en février ou encore celui de l’assaillant islamiste qui a assassiné trois personnes dans la basilique Notre-Dame de l’Assomption de Nice en octobre dernier. Comment enfin donner tort à ceux qui, implacablement sanctionnés pour avoir protesté lors d’un contrôle routier, crient à l’iniquité devant les images de policiers reculant face à des hors-la-loi les insultant et les menaçant sans risquer la moindre réponse judiciaire ?
Rétablir cette justice de la sanction systématique et proportionnée va créer des troubles face à des populations qui sont habituées à l’impunité. Nous en acceptons l’augure.
Nous payons lourdement des années de contradictions entre les paroles spectaculaires devant les caméras et l’absence d’actes méthodiques, fermes, constants et évalués sur le terrain. Cette démission des pouvoirs publics et ce deux poids deux mesures découragent l’esprit civique de nos compatriotes ou les renvoient vers l’extrémisme. Il en résulte une réelle crise de la confiance dans la capacité de l’État à nous protéger et à agir pour le bien commun. Afin de la rétablir, l’impunité de ceux qui se sont approprié l’espace public doit cesser.
Pour cela, commençons par donner davantage de moyens à la justice et exigeons qu’elle fasse respecter les lois existantes. Engageons une « radiographie » très fine de la chaîne pénale pour éliminer tous les grains de sable qui nuisent à l’efficacité du couple police-justice. Construisons enfin les nécessaires places de prison supplémentaires ainsi que des centres éducatifs fermés pour les mineurs afin de faire réellement exécuter les peines: 45% des peines de prison ne sont toujours pas exécutées six mois après avoir été prononcées. La France demeure le 18e pays en Europe pour le nombre de prisonniers rapporté à sa population, alors qu’elle est le 7e pour les tentatives de meurtres et le 2e pour les coups et blessures volontaires.
Il faut sanctionner, bien sûr de façon proportionnée, dès la première infraction, dès la première incivilité car le retour à une spirale vertueuse dans le domaine du civisme commence par ne pas accepter que l’on tague les murs de sa ville ou que l’on fasse des rodéos sauvages dans son quartier.
D’autres mesures essentielles doivent être mises en œuvre, comme le rétablissement des peines planchers en cas de multirécidive ou d’agression contre des dépositaires de l’autorité publique, la fin de l’aménagement quasi automatique des peines pour les condamnations à moins de deux ans de prison ferme d’individus dangereux, la suppression des crédits de réduction de peines fonctionnant comme un droit acquis du détenu ou encore le renvoi systématique dans leur pays d’origine des délinquants et criminels étrangers condamnés.
Il faut sanctionner, bien sûr de façon proportionnée, dès la première infraction, dès la première incivilité car le retour à une spirale vertueuse dans le domaine du civisme commence par ne pas accepter que l’on tague les murs de sa ville ou que l’on fasse des rodéos sauvages dans son quartier. Mais plus que tout, il faut une volonté et du courage. Si la France ne se dote pas enfin d’une véritable politique de sécurité tournée vers la protection de la société, l’arbitraire résultant de l’impuissance régalienne continuera de se faire au détriment des honnêtes gens. C’est notre démocratie qui est en jeu. Rétablir cette justice de la sanction systématique et proportionnée va créer des troubles face à des populations qui sont habituées à l’impunité. Nous en acceptons l’augure. Nous saurons y faire face. Le devoir politique est de l’assumer, d’y préparer l’opinion et de faire le travail.