Le droit européen n’est en aucun cas supérieur à nos constitutions.
Photo : Philippe BUISSIN © European Union 2021 – Source : EP
Entretien avec Mathieu Solal initialement paru dans L’Opinion.
Assiste-t-on à une « radicalisation anti-européenne des Républicains », comme l’explique Pascal Canfin dans une tribune parue dans l’Opinion ?
Bien sûr que non. Ces propos sont d’une incompétence désolante, ou d’une grande malhonnêteté. Notre famille politique ne fait que rappeler l’esprit du projet européen tel qu’il devrait être préservé, et la réalité juridique qui s’impose aux institutions. Dans les domaines où nous avons confié des compétences à l’UE, les mêmes règles s’appliquent bien sûr à tous. Mais si le droit européen prévaut dans ce cadre sur les lois et la jurisprudence nationales, il n’est en aucun cas supérieur à nos constitutions. C’est ce que disent les cours constitutionnelles de nombreux Etats membres, dont les juges allemands de Karlsruhe, qui ont contesté par exemple la politique de la BCE l’année dernière. Je sais que le programme de LREM consistait à « transférer la souveraineté nationale à l’échelle européenne », mais ce rêve d’Emmanuel Macron n’a aucun rapport avec la réalité.
Il y a tout de même rarement des tensions en pratique entre des décisions européennes et des cours constitutionnelles, et elles se règlent habituellement par un dialogue entre les juges. Soutenez-vous la décision du tribunal constitutionnel polonais, qui manifeste une opposition frontale inédite ?
Dans ce cas précis, la décision de la cour polonaise ne conteste pas une décision européenne parmi d’autres, elle déclare que les traités européens eux-mêmes sont contraires à la Constitution. Cette décision pose bien sûr un problème singulier. La Pologne a adhéré à l’UE par référendum, et le gouvernement actuel ne remet pas en cause cette adhésion : il est incohérent de la juger en même temps inconstitutionnelle.
Trouvez-vous, comme Valérie Pécresse, qu’il soit « très choquant » que la CJUE exige la dissolution de la chambre disciplinaire de la Cour suprême polonaise, sur demande de la Commission ?
L’UE n’est pas une organisation internationale comme une autre. Elle est fondée sur une civilisation, dont sont issus les principes démocratiques que nous ne devons jamais négocier, comme la séparation des pouvoirs. C’est pour cette raison que nous souhaitons une observation impartiale et non politisée de la démocratie dans tous les États membres. Sinon, nous cédons à un procès politique qui vise toujours les mêmes pays. La Pologne est ciblée chaque mois par les résolutions du Parlement européen ; pourquoi n’est-on pas aussi ferme avec le gouvernement tchèque, allié de LREM, qui détourne des millions d’euros de fonds européens, ou avec le gouvernement maltais, socialiste, complice de l’assassinat d’une journaliste enquêtant sur la corruption endémique du pouvoir ? En réalité, la Pologne est explicitement ciblée pour des questions de sociétés et pour sa politique migratoire.
Michel Barnier ne fait-il vraiment que « rappeler la réalité juridique » en proposant un « bouclier constitutionnel » en matière migratoire ?
Il fait une proposition concrète, que je soutiens, et qui vise à revenir à l’esprit et à la lettre des traités européens par la voie d’un référendum. La CJUE fait en effet une interprétation extensive des traités, notamment sur la question du droit à la vie familiale, qui enraye la capacité des Etats membres à déterminer leurs politiques migratoires, qui devrait pourtant relever de leur seule décision. La CJUE s’émancipe ainsi des domaines de compétence européens. C’est aussi vrai du Parlement, qui se prononcé fréquemment sur des sujets qui ne relèvent pas de sa responsabilité. Respecter l’Etat de droit devrait obliger les institutions européennes à ne pas sortir des compétences qui leur sont confiées par les traités.
Le sens de l’UE, c’est d’agir dans les domaines où nous sommes plus efficaces ensemble que séparément comme le marché intérieur, la stratégie industrielle… Où est la valeur ajoutée européenne quand les institutions promeuvent des réformes sociétales qui relèvent de chaque démocratie ? Ceux qui voudraient que Bruxelles s’occupe de tout construisent l’Europe qui inquiète les Français.
En se soustrayant à la jurisprudence de la CJUE en matière migratoire par voie référendaire, la France ne risquerait-elle pas de donner l’idée à d’autres Etats membres de ne plus appliquer les lois et décisions de justice européennes, et ainsi de participer à désintégrer l’ordre juridique européen ?
Il faut être précis : il ne s’agit pas de revenir sur les compétences que nous choisissons d’exercer en commun. Evidemment, la France continuera d’appliquer les décisions prises ensemble dans ce cadre. Mais les traités n’imposent pas aux Etats d’avoir la même politique migratoire ! Le respect, y compris par la CJUE, de la souveraineté des États, est un impératif qui ne peut être éludé ; et il est important que ce sujet fasse partie du débat présidentiel.