Refuser l’irresponsabilité générale : non, cet attentat n’avait rien d’inéluctable.
Texte initialement paru dans Le Figaro du 16 octobre 2023.
Il y a quelque chose de pire que l’horreur : c’est la répétition de l’horreur. Quelque chose de pire que la terreur : c’est l’habitude. Un professeur a été tué, dans son lycée, au cri de Allah Akbar. Et le rituel reprend, déjà familier : indignations politiques, condamnations de circonstance, « crime odieux », « valeurs de la République », micros tendus, la détresse des collègues, les yeux rougis des élèves, détails de l’enquête, déplacement des autorités, « dire le soutien de la Nation », « restons unis et debout », marches blanches, minutes de silence… Combien de fois faudra-t-il subir cette répétition ?
La liste est trop longue déjà. Au point qu’elle risque de susciter, après la révolte, une forme de résignation. Nous étions quatre millions à descendre dans la rue pour les morts de Charlie. Avons-nous fini par admettre une nouvelle normalité ? Vendredi, quelques heures après l’attentat, un expert expliquait sur une radio du service public que même si la prévention du terrorisme est « relativement bien » assurée en France, il est fatalement « impossible de surveiller tout le territoire », et que par conséquent « il y a des moments où il faut se dire que la violence fait partie de la société ». Puisqu’il existe toujours un « risque du passage à l’acte violent », le spécialiste en tirait cette conclusion : « C’est dur à entendre, mais ça fait partie de la vie ». Des professeurs tués dans leur lycée par des islamistes : trois ans après la mort de Samuel Paty, c’est donc cela, la « vie » à laquelle il va falloir s’habituer ?
Il y a quelque chose de pire que l’horreur : c’est la répétition de l’horreur. Quelque chose de pire que la terreur : c’est l’habitude.
C’est finalement, à sa manière, le message qu’envoyait au même moment le président de la République, en consacrant ses cinq minutes d’intervention au lycée Gambetta à remercier tout le monde : les professeurs et les élèves, les policiers félicités pour leur rapidité, tout comme les magistrats, les élus qui font bloc, et les soignants si réactifs. On ne peut que s’associer à la reconnaissance du pays pour ceux qui aujourd’hui se retrouvent en première ligne… Mais en s’arrêtant à ces mots, le président donnait l’étrange impression que tout s’était finalement aussi bien passé que possible, et que rien n’avait failli. Une autre manière de signifier qu’on ne pourrait faire mieux pour empêcher l’inéluctable violence de frapper à nouveau, et que l’essentiel serait, la prochaine fois comme aujourd’hui, de rester « unis, groupés et debout ».
Mais nous ne voulons plus de ces mots. Nous n’en pouvons plus. Il faut enfin sortir du déni de réalité. L’unité nationale, oui ; mais pas au prix du regard pudiquement détourné sur les années de faillite qui ont laissé l’horreur s’imposer. Car cet attentat, comme ceux qui l’ont précédé, n’avait rien d’inéluctable : nommer lucidement les fautes multiples qui ont rendu possible le pire, c’est la condition pour s’en sortir enfin.
Cette tragédie frappe l’institution scolaire, première victime de ce long échec collectif, fragilisée par des décennies de « réformes » toujours inspirées par la même idéologie : toujours moins transmettre, moins enseigner, moins assumer l’héritage – quitte à laisser toujours plus de déshérités. Le criminel d’Arras, comme ceux qui en juillet ont brûlé des dizaines d’écoles, avait passé des années sur les bancs de nos salles de classe : comment avons-nous pu laisser des esprits à ce points vides, décérébrés et incultes, qu’ils soient si facilement séduits par l’islamisme stupide des réseaux et des quartiers ? Comment notre école a-t-elle pu taire ou dénoncer la culture qu’elle devait enseigner, au point que ses propres élèves se sentent le droit de la mépriser jusqu’à vouloir la détruire ? Alors que nous consacrons à l’Education nationale le premier budget de l’État, un jeune sur cinq arrive à ses dix-huit ans sans savoir lire correctement le français. Beaucoup de mes collègues professeurs l’ont dit comme moi depuis longtemps : là où la culture n’est plus apprise, il ne faut pas s’étonner de voir surgir la barbarie. Cet effondrement silencieux de l’école, à coups de lâcheté politique, de réformes absurdes, de « pas de vagues » imposé, aura volé aux professeurs leur métier, et aux élèves leur chance de recevoir ce que nous avions à leur enseigner : le résultat est sous nos yeux. Mais il n’y a aucune fatalité à ce naufrage éducatif, si nous sortons enfin du déni de réalité pour concentrer l’effort de tout le pays au relèvement de notre école, avec pour seule mission de transmettre.
La seconde tâche essentielle, c’est celle de reconstruire nos frontières. Là encore, la faillite est évidente. Dominique Bernard est mort parce que l’État s’est désarmé face à l’immigration illégale. Le criminel est un tchétchène – comme le meurtrier de Samuel Paty, qui avait lui aussi été d’abord débouté du droit d’asile ; sa dérive islamiste avait été signalée par l’Éducation nationale ; son frère est en prison pour avoir soutenu un projet d’attentat et relayé la propagande de Daech, et lui-même était fiché S. Cette famille aurait dû être expulsée depuis longtemps, avant qu’un collectif d’associations et de militants de gauche ne s’y opposent en invoquant une circulaire : comme dans tant d’autres cas, l’illégalité avait trouvé secours dans la toile de conventions, de jurisprudence et de bureaucratie qui paralyse l’État. Ceux qui s’enlisent dans le déni – les mêmes qui dénoncent le couteau pour ne pas nommer le djihad, et qui prefèrent fuir les micros que d’avoir à reconnaître le terrorisme du Hamas – ceux-là refuseront encore de voir le lien entre ce crime et la faillite migratoire. Mais l’évidence est là : si nous avions fait respecter nos lois, nos principes et nos frontières, Dominique Bernard, comme Samuel Paty et tant d’autres, serait en vie aujourd’hui. Prétendre que nous vivons les drames inévitables d’une société normale, c’est s’exonérer trop vite de toute responsabilité. À nous de remettre le droit à l’endroit pour sortir de cette folie – et c’est possible, pourvu que l’on aille, comme nous l’avons proposé, jusqu’à utiliser le levier de la Constitution pour rendre sa force à la loi.
Il n’y a aucune fatalité à ce naufrage éducatif, si nous sortons enfin du déni de réalité pour concentrer l’effort de tout le pays au relèvement de notre école, avec pour seule mission de transmettre. La seconde tâche essentielle, c’est celle de reconstruire nos frontières.
Un professeur a été tué dans son lycée au cri de Allah Akbar. Devant la somme des aberrations, des échecs, des dénis qui ont rendu possible une telle folie, tout dirigeant digne de ce nom devrait dire : j’ai échoué. Tout un pays bouleversé devrait dire : nous avons échoué. Au lendemain de la grande défaite de 40, Saint-Exupéry écrivait que la France se relèverait en retrouvant le sens de la responsabilité. « Il importe d’abord de prendre en charge. Chacun est responsable de tous. » Nous devons à Dominique Bernard, et à tous ses collègues qui reprendront les cours lundi, de ne pas faire comme si personne n’y pouvait rien, comme si tout était normal – de ne jamais nous habituer. C’est la condition nécessaire pour un renouveau politique qui nous permette enfin de sortir de l’impuissance. « Nous entrerons demain dans la nuit. Que mon pays soit encore quand reviendra le jour ! »