« Ce qui serait impossible, intenable, indéfendable, ce serait de tenter une alliance avec la gauche » – Grand entretien dans Ouest-France

Article initialement paru dans Ouest-France.

Crédit photo Nicolas Marques – Ouest-France

Que vous inspire la chute du gouvernement Barnier ? Vous y attendiez-vous ? 

Je suis à la fois en colère et inquiet, comme beaucoup de Français. En colère devant des élus qui ont choisi d’accélérer le chaos. On a l’impression que ça les arrange de créer des problèmes supplémentaires. Veulent-ils sortir le pays de l’ornière ou l’enfoncer plus encore ? J’aimerais bien qu’on nous explique sérieusement comment faire tomber Michel Barnier pourrait améliorer la situation du pays. Au milieu des difficultés actuelles, je ne vois vraiment pas ; et j’observe que ceux qui ont voté cette censure n’ont aucune alternative crédible à proposer. 

 

Les Républicains, dont Laurent Wauquiez, ont-ils pleinement soutenu Michel Barnier ? Eux aussi, ont posé des « lignes rouges » contre son budget, au cours des débats… 

Les parlementaires LR ont contribué à rééquilibrer ce budget. Michel Barnier n’a eu que 15 jours pour la préparer, et il assumait lui-même qu’il fallait l’améliorer. Nous avons donc amendé ce budget pour baisser la pression fiscale, pour soutenir les agriculteurs, pour donner plus de moyens aux forces de l’ordre. Nous avons soutenu le travail du gouvernement sans abandonner nos convictions.

 

En donnant parfois l’impression qu’il n’y avait aucune unité dans le « socle commun »… 

C’est vrai, nous sommes des opposants au macronisme ; nous n’avons pas les mêmes priorités que ceux qui l’ont soutenu pendant des années. Nous ne nous sommes jamais reniés. Mais dans cette situation si difficile, nous étions prêts à travailler pour qu’un gouvernement puisse agir pour le pays. Sur la sécurité et l’immigration, sur l’agriculture, sur la santé, il y a tant d’urgences, et l’action avançait déjà, grâce à cet effort. Nous aurions pu jouer la division nous aussi, entretenir les jeux policitiens, et laisser nos institutions dans le chaos… Nous avons refusé cette irresponsabilité.

 

De quel côté est-elle, selon vous ? 

Du côté de la gauche et de Marine Le Pen. Ces élus voulaient en réalité censurer le gouvernement quoiqu’il arrive : personne n’y pouvait plus rien.

 

Vous pensez qu’elle avait prévu de voter la censure avant même de présenter ses exigences ? 

C’est très clair. Michel Barnier a entendu toutes les demandes d’ajustement qu’elle formulait. Sans effet.

 

Toutes ses demandes, sauf l’indexation de l’ensemble des retraites sur l’inflation au 1er janvier ? 

Six mois de décalage de l’indexation, ce serait donc la seule raison pour plonger le pays dans un chaos qui va coûter très cher à tous les Français ? Avec LR, nous avons été les premiers à dire que les retraités qui ont travaillé toute leur vie ne pouvaient pas être la variable d’ajustement des économies dont l’État a besoin, et c’est nous qui avons obtenu de préserver le montant des retraites. Mais en prétextant une exigence sur l’indexation à la dernière minute pour justifier ce grand saut dans l’inconnu, Marine Le Pen met bien plus en danger les retraités de ce pays.

 

Les partisans de la censure affirment qu’il n’y aura pas d’impact. Emmanuel Macron s’est montré plutôt rassurant sur ce point dans son allocution de jeudi. Qui a raison ? 

Est-ce que ces élus écoutent encore leurs électeurs ? Les Français qui ont voté RN pensaient-ils que leurs voix serviraient Jean-Luc Mélenchon ? Quand LFI s’enthousiasme que Bruno Retailleau ne soit plus ministre de l’Intérieur, sont-ils heureux que leurs députés y aient participé ? Ceux qui ont voté la censure entendent-ils les artisans, dont les carnets de commandes sont gelés ? Écoutent-ils les commerçants ? Les entrepreneurs ? Qui va oser investir aujourd’hui dans une France à ce point instable et incertaine ? Nos agriculteurs attendaient que deux textes essentiels pour améliorer leur situation soient votés par le Parlement. Ils étaient programmés dans quelques jours : tout cela tombe à l’eau. Les retraites agricoles devaient être augmentées jusqu’à 30 % : annulé. Ceux qui ont voté la censure doivent répondre de ces conséquences. Cela touche la vie des gens. La politique n’est pas un jeu.

 

On parle de Sébastien Lecornu, Gérald Darmanin ou Bruno Retailleau comme de possibles successeurs de Michel Barnier à Matignon. Une nouvelle alliance entre centre et droite a pourtant toutes les chances de se refaire censurer ? 

Pour moi, ce qui serait impossible, intenable, indéfendable, ce serait de tenter une alliance avec la gauche. Le programme du NFP ferait s’effondrer le pays. Et mettrait en danger nos principes fondamentaux : rappelons que la France insoumise a organisé récemment un événement à l’Assemblée nationale avec l’un des financiers du Hamas… Contrairement à madame le Pen, moi, je sais avec qui je ne m’allierai jamais.

 

Que pensent nos voisins européens de la crise que nous traversons ? 

Le hasard a fait que nous accueillions nos collègues allemands (les députés européens de la CDU et de la CSU) mercredi soir, à l’Assemblée nationale. Ils ont assisté en direct à la censure. Ce basculement est une source de grande inquiétude pour eux. 

 

L’Allemagne traverse elle aussi une grande crise politique ? 

Oui, l’Europe donne des signes d’instabilité partout. Mais il y a une grande différence entre les Allemands et nous : leur dette publique est très maîtrisée, la nôtre est en plein dérapage. Cela rend notre pays bien plus vulnérable. 

 

Des personnalités, de gauche comme de droite, espèrent la démission du Président, même s’il a dit qu’il irait au bout de son mandat, en 2027. Et vous ? 

Je suis un opposant résolu d’Emmanuel Macron depuis le premier jour. J’ai toujours pensé que le « en même temps » était une confusion dangereuse, et son irresponsabilité budgétaire une menace pour le pays. Mais être un opposant ne veut pas dire être un pyromane. Je ne crois pas qu’on ait quoi que ce soit à gagner à mettre sous pression la stabilité de nos institutions, une des dernières choses qui tienne encore en France. Le temps de l’alternance viendra, c’est à cela que nous devons travailler.

 

Emmanuel Macron a évoqué la restauration de Notre-Dame dans son allocution de jeudi. Il a eu raison ? Un peu de fierté nationale, en ces temps troublés, peut faire du bien ? 

L’incendie de Notre-Dame a marqué tous les Français, parce que cette cathédrale dit l’âme de notre pays. Il est bouleversant de voir que le courage des sapeurs pompiers, la générosité de dizaines de milliers de dons, et le savoir faire incroyable de nos artisans, ont permis de sauver ces pierres et le sens qu’elles portent avec elles. C’est un message pour l’avenir de notre pays traversé par tant d’épreuves et de tensions : comme le disait Péguy, “tout ce qui élève unit.”

 

La Commission européenne avait validé la trajectoire de redressement de nos comptes publics, la semaine dernière. Le rejet de notre budget annule cette décision d’office ? 

La Commission réexaminera le prochain budget. Nous sommes dans la zone euro et nos choix ont des conséquences aussi pour nos voisins. Tous sont en train de se désendetter. Le Portugal fait des excédents budgétaires, la Grèce est à 1 % de déficit par rapport à son PIB et l’Espagne fait mieux que ses propres prévisions… Nous sommes les seuls à nous enliser. Mais ce n’est pas pour Bruxelles que nous devons impérativement redresser nos comptes : c’est d’abord pour nos enfants et nos petits-enfants. 

 

La France va devenir le nouvel « homme malade de l’Europe » ? 

Elle l’est déjà. Tous les indicateurs le montrent. L’Etat aura besoin d’emprunter 300 milliards l’an prochain, un record, non pas pour investir ou préparer l’avenir, juste pour pouvoir fonctionner au quotidien. Payer les retraites, les fonctionnaires, les intérêts de sa dette. C’est une dépendance dangereuse pour le pays. Je ne cherche pas à agiter des peurs artificielles, je rappelle simplement la réalité de notre situation. Si l’emprunt n’était plus accessible, nos organismes sociaux seraient en faillite en moins d’un mois. Michel Barnier l’a bien dit mercredi : la censure ne fait pas disparaître la dette. En 2017, la droite a fait campagne pour dire que l’État était en faillite et qu’il fallait redresser les comptes publics. Emmanuel Macron a été élu et a fait le choix de s’enfoncer encore plus dans l’irréalité, en prolongeant notamment le « quoi qu’il en coûte » bien au-delà du Covid. Les 1 000 milliards de dettes qu’il a créées vont peser très lourd sur les années à venir.

 

Ce vendredi, Ursula von der Leyen a annoncé qu’un accord avait été conclu avec le Mercosur, malgré l’opposition de la France. Notre voix ne compte plus ? 

Qu’est-ce qui fait qu’elle a pu signer tranquillement, à votre avis ? Nous n’avons plus de gouvernement pour nous y opposer ! Elle n’aurait pas pu conclure face à une France capable de défendre solidement ses positions. Michel Barnier devait se rendre jeudi dernier en Italie, pays qui, en s’opposant formellement au Mercosur avec la France et la Pologne, pouvait nous permettre de constituer une minorité de blocage au Conseil de l’Union européenne. Il est tombé le mercredi. Sans Premier ministre, plus de négociations pour faire alliance. Les partisans du Mercosur peuvent remercier Madame Le Pen ! 

 

Le Parlement européen pourrait s’opposer à la ratification du traité ? 

Oui, et nous y travaillons d’arrache pied. Avec Céline Imart, nous avons déjà démarché les députés des pays qui partagent nos inquiétudes. Réunir une majorité sera difficile, mais c’est possible, et nous devons ce combat à nos agriculteurs, qui font vivre notre pays.