À Washington, François-Xavier Bellamy prend la mesure du rapport de force avec les trumpistes
Article initialement paru dans Le Figaro
DÉCRYPTAGE – L’eurodéputé LR s’est rendu dans la capitale américaine aux côtés d’autres élus du Parti populaire européen (PPE). L’occasion de constater le grand écart avec ses homologues, et le « défi » qui attend l’Union européenne.
Depuis le Vieux Continent, ils sont six à avoir fait le voyage jusqu’à Washington. Une délégation de députés membres du Parti populaire européen (PPE), première force politique au Parlement européen, menée par François-Xavier Bellamy. En début de semaine, ils devaient rencontrer des élus républicains au Capitole. Rendez-vous annulé le jour même. Un peu abasourdi, le vice-président du PPE souffle : « À l’évidence, personne ne veut être pris en photo avec des Européens en ce moment… » La nouvelle Administration de Donald Trump, elle, reste inaccessible.
Et voilà une petite onde de choc qui percute le groupe d’eurodéputés. C’est une chose de lire ci et là combien l’Union européenne laisse (au mieux) indifférente le président des États-Unis. C’en est une autre de le vivre plus frontalement en foulant un sol américain fort secoué, brièvement visité cette semaine par Emmanuel Macron. Le premier des dirigeants européens à être reçu à la Maison-Blanche. « On ne saura si l’exercice a été réussi qu’en observant les conséquences, commente Bellamy. Même si les divergences se sont fait sentir. »
Quand le président de la République française martèle la nécessité de garantir la sécurité de l’Ukraine, Donald Trump, quelques jours plus tard, qualifie Volodymyr Zelensky de « dictateur ». « Nous entrons dans un nouveau monde, avec de nouveaux rapports de force », constate Bellamy. Il avait pourtant été prévenu. « Vous allez voir : ça va être rude », glissait ce diplomate à l’eurodéputé LR avant son départ. Et pourtant, Bellamy l’admet : « Je ne m’attendais pas à cette ambiance. Pas à ce point. Je ne m’attendais pas au sentiment, largement partagé ici, d’un changement spectaculaire de l’ordre du monde. »
«Langage du deal»
Think-tanks, professeurs d’université, directeurs d’institut, ambassadeurs… La délégation du PPE a passé la semaine à rencontrer une partie de l’intelligentsia américaine. Ceux qui, de près ou de loin, tentent d’approcher, tout du moins d’étudier, la nouvelle Administration Trump, qu’ils décrivent comme étant particulièrement hostile à Bruxelles.
À l’un de ces interlocuteurs, François-Xavier Bellamy lâche : « Il est clair que, désormais, l’Europe est perçue comme un adversaire et non plus un allié. Le message est globalement répandu à Washington. Mais nous avons le devoir de maintenir le lien entre nos pays, parce que nous serons confrontés aux mêmes adversaires : il y a face à nous des compétiteurs globaux, des puissances qui veulent démontrer que la démocratie est faillie et que l’autoritarisme est l’avenir. »
Et cette réponse cinglante d’un membre de l’Atlantic Council, think-tank américain spécialisé dans les affaires internationales : « Je vois comment vous parlez depuis Bruxelles. Vous pensez que vous pouvez expliquer combien la relation entre l’UE et les États-Unis est importante et que tout le monde va vous suivre. Mais ce n’est pas le cas. Donald Trump, c’est le langage du deal. Il a une vision transactionnelle des choses. La seule question que vous avez à vous poser est la suivante : comment l’UE peut lui être utile ? »
Le principal intéressé a visiblement sa propre idée. « Soyons honnêtes : l’UE a été conçue pour embobiner les États-Unis. Et jusqu’à présent, ils ont fait du bon boulot. Mais maintenant, c’est moi le président », a récemment déclaré Donald Trump. Traduction par les actes : le président des États-Unis a annoncé taxer « prochainement » les produits européens à 25 %. « Je suis bien curieux de savoir comment Sarah Knafo peut défendre Trump devant les viticulteurs au Salon de l’agriculture », commente François-Xavier Bellamy.
«Crise d’identité»
Le vice-président du PPE suit avec attention la manière dont l’eurodéputée issue du parti d’Éric Zemmour (Reconquête) donne à son courant nationaliste une couleur trumpiste. « Je comprends que cela puisse attirer des électeurs qui n’en peuvent plus du wokisme, avance Bellamy. Mais on ne combat pas une idéologie par une autre idéologie, faite de relativisme et de post-vérité. »
Et tandis que Sarah Knafo multiplie les allers-retours aux États-Unis pour cultiver son réseau au sein du cercle du président des États-Unis, Bellamy, lui, fustige : « Des élus viennent à Washington en espérant capitaliser sur la visibilité de l’environnement trumpiste. Je ne suis pas venu faire des selfies avec les nouvelles stars. Mon travail, c’est de défendre les intérêts des Français, et cela va supposer un dialogue serré et exigeant avec la nouvelle Administration, pour protéger nos agriculteurs, nos entreprises. Comme rapporteur sur notre programme d’industrie de défense, je sais combien il va falloir combattre pour notre souveraineté industrielle, quand Washington veut imposer sa dépendance à l’Europe. J’ai mené toute ma campagne européenne pour affirmer que nos pays doivent retrouver la maîtrise de leur destin. Je ne vais pas maintenant céder à la naïveté à cause d’un effet de mode. »
Ni « indigné », ni « fasciné » par le président des États-Unis, le vice-président Les Républicains y voit plutôt un « défi » pour l’UE. « L’occasion d’un réveil stratégique, détaille-t-il. Ce qui se passe aux États-Unis est un miroir qui réfléchit nos propres faiblesses. Les Européens pensaient qu’ils pouvaient dormir tranquilles parce que l’ordre global du monde était assuré par leur allié américain : c’est terminé. C’est une crise d’identité pour l’Europe, qui est à un carrefour existentiel : le monde n’est plus multilatéral. Les pays européens vont devoir reconstruire leur défense, leur politique commerciale, leurs priorités stratégiques. Et surtout redéfinir leur place et leur responsabilité dans le monde. »
Cet ancien conseiller de Trump rencontré à Washington soufflait d’ailleurs à Bellamy : « L’histoire des États-Unis, c’est une histoire de deals. Vous devez l’accepter. Trump va dealer avec Poutine, comme demain avec la Chine. » Charge aux Européens de reprendre leur destin en main.
«Petite traversée du désert»
Les professeurs de la prestigieuse Académie navale d’Annapolis ont une manière bien à eux de faire passer ce message. Aux eurodéputés visitant la prestigieuse institution, l’un d’entre eux glisse : « Ici, nous faisons faire à nos étudiants des “wargames”. » Des jeux de guerres qui s’étalent sur des semaines, façon Risk, où chacune des forces avance ses pions sur des cartes – souvent autour de la mer de Chine. « Vous devriez faire pareil, vous les Européens, sourit un professeur. Vous verrez, c’est très instructif. »
Voilà donc Bellamy au « pays de Trump », bien loin, naturellement, des préoccupations nationales. Et encore plus des batailles partidaires. Depuis les européennes, la route pour LR a été longue, semée d’embûches. Bellamy, lui, a voulu se concentrer sur son mandat. Un peu trop, au goût de certains chez LR. « Il fait du super boulot, ce n’est pas la question, estime-t-on au sommet du parti. Le problème, c’est que Bruxelles, ça isole. » Certains vont jusqu’à qualifier sa récente trajectoire politique de « petite traversée du désert ».
Un passage à vide qui, à en croire certaines sources, aurait commencé lors de la dernière « crise » des Républicains, quand Éric Ciotti annonçait son alliance avec Marine Le Pen lors des législatives anticipées. « Bellamy était particulièrement discret, voire ambigu », grince-t-on en évoquant les bruits d’une participation de l’eurodéputé à un gouvernement RN, l’été dernier. Une « rumeur » qui avait été immédiatement démentie par l’intéressé, dénonçant une « instrumentalisation » du Rassemblement national.
Se «remettre en question»
« J’ai été très clair à l’époque et je garde la même ligne : Éric Ciotti a parlé d’union des droites. Mais la réalité, c’est que Marine Le Pen n’en a jamais voulu. Comme le “en même temps” macroniste, elle refuse elle aussi d’assumer ce clivage. J’ai toujours pensé que reconstruire une droite cohérente, claire et courageuse était la seule voie pour pouvoir relever le pays. J’ai fait campagne avec Éric pendant des mois. Cela crée des liens bien sûr. Mais j’ai regretté le choix qu’il a fait, et je continuerai de maintenir la ligne que je défendais aux européennes. Partout, dans les pays qui nous entourent, ce sont nos alliés de droite qui gagnent aujourd’hui, après s’être reconstruits ; il n’y a aucune raison que ce ne soit pas le cas en France demain. »
Chez LR, l’on réplique : « S’il avait condamné Ciotti plus fermement, ces rumeurs n’auraient jamais existé. » Mais aujourd’hui, Bellamy l’assure : « Je ne crois pas aux brevets de républicanisme. Ce n’est pas avec des leçons de morale que nous retrouverons la confiance des électeurs. C’est à nous de nous remettre en question. »
Qu’à cela ne tienne, le calme estival a fini par gagner les rangs du parti. Avant un automne qui a bouleversé la place de la droite dans le paysage politique, tandis que Michel Barnier accédait à Matignon. Mais parmi les dix ministères concédés à des LR, aucun ne revient à Bellamy. Ni dans ce gouvernement, ni dans le suivant. De plus en plus, l’on rapporte chez LR la déception de l’eurodéputé, qui comptait sur Bruno Retailleau pour « pousser » son profil.
Lors du dernier remaniement, l’eurodéputé espérait encore jouer un rôle. « Mais où était-il, à ce moment-là ? L’a-t-on entendu ? », réplique un élu, proche du ministre de l’Intérieur. Un autre renchérit : « Deux choses : Retailleau et Bellamy dans un même gouvernement, ce n’est pas possible. C’est ton sur ton. Ensuite, Retailleau avait intérêt à ne pousser que pour des divisions 2. Il voulait être la seule tête de chez LR qui dépasse. »
«Jeux d’ego»
Encore aujourd’hui, Bellamy assure ne jamais avoir été « obsédé par l’idée d’être ministre ». « Je n’ai mis aucune pression pour l’être, je mesurais les contraintes. La France vaut plus que les jeux d’ego. La seule déception a été de constater qu’il ne suffit pas d’avoir tout risqué et tout donné pour tirer d’affaire ce parti aux européennes, et qu’on vous reconnaisse publiquement d’avoir permis le sursaut, pour être appelé au moment de revenir aux responsabilités. Mais ce n’est pas grave, j’apprends. » En attendant, poursuit-il, « je ne me sens pas exilé pour autant ».
« C’est vrai, je ne suis pas au cœur de l’actualité comme on peut l’être dans l’exécutif. Mais au Parlement, je mène tous les combats qui sont décisifs pour l’avenir du pays. Il n’y a pas une semaine qui passe sans qu’un député m’appelle pour me partager une question qui touche sa circonscription et dont la solution est à Bruxelles. Le lien avec le terrain est constant. »
Et le lien avec le parti, aussi, promet-il. C’est d’autant plus le cas que l’eurodéputé a récemment déclaré son soutien à Bruno Retailleau, candidat à la présidence de LR. Le désenchantement d’hier est passé. « C’est une période encourageante pour la droite. Si Bruno peut gagner, alors on y va ! », assume Bellamy, qui fut l’un des premiers à encourager le Vendéen, dont il est un proche historique. Le 23 décembre dernier, alors que Bruno Retailleau venait d’être reconduit à l’Intérieur, l’eurodéputé lui glissait : « La prochaine étape, c’est le parti. »