Agir comme si un bien était possible
Entretien paru initialement sur le site du Point.
« Le temps est à la grande inquiétude », écrivez-vous. Pourquoi, dans ce cas, intituler votre livre Espérer ?
Parce que nous avons tellement besoin de retrouver une espérance… Cela suppose de commencer par refuser la facilité de l’optimisme, qui n’est qu’une forme d’irresponsabilité. Nous avons aujourd’hui peu de raisons d’être optimistes pour l’avenir. Mais c’est paradoxalement le bon moment pour espérer : car l’espérance consiste à regarder lucidement la réalité, et à agir comme si un bien était possible même quand tout fait croire le contraire.
C’est paradoxalement le bon moment pour espérer : car l’espérance consiste à regarder lucidement la réalité, et à agir comme si un bien était possible même quand tout fait croire le contraire.
Georges Bernanos écrit en 1942, dans un article qui sera publié plus tard dans les Essais et écrits de combat : « Le pessimiste et l’optimiste s’accordent à ne pas voir les choses telles qu’elles sont. L’optimiste est un imbécile heureux. Le pessimiste est un imbécile malheureux. » L’optimiste considère que, quoi qu’il arrive, tout finira par s’arranger ; le pessimiste, par croire que tout finira par s’écrouler. Dans les deux cas, il est inutile d’agir… Aucune de ces deux attitudes ne me semble le signe d’un véritable courage.
Attentats, épidémies, dérèglement climatique, guerre en Ukraine, en Arménie, en Israël… La politique se réduit-elle aujourd’hui à la gestion de crises ?
En réalité, notre fragilité se trouve d’abord dans la crise intérieure que traversent notre continent et le monde occidental. L’Europe comme la France ne savent plus dire qui elles sont ; elles ont oublié leur vocation. La guerre en Ukraine, par exemple, a été rendue possible par la passivité européenne face au retour de la brutalité géopolitique perceptible depuis longtemps, et en particulier, j’en suis convaincu, du silence de nos institutions pendant la guerre de 2020 contre le peuple arménien. Pendant si longtemps, l’Europe a privilégié ses intérêts matériels de court-terme sur les principes qu’elle devait défendre et sur sa propre sécurité. C’est de cette faiblesse que viendra le danger qui menace déjà notre continent.
Vous avez dénoncé la campagne sur la « liberté dans le hijab » lancée par le Conseil de l’Europe, estimez que la Cour européenne des droits de l’homme et la Cour de justice de l’Union européenne entravent la capacité des Etats à endiguer les flux migratoires… L’Union Européenne est-elle vraiment le bon échelon pour agir ?
Oui, d’abord parce qu’il y a des combats à y mener, ne serait-ce que pour lutter contre ces dérives inquiétantes. J’ai fait adopter en effet un amendement pour interdire à la Commission européenne de financer les publicités qui, en pleine révolte des femmes iraniennes, affirmaient que « la liberté est dans le hijab » ; c’est un combat symbolique mais que je crois essentiel, pour faire reculer l’entrisme islamiste dans nos pays, et pour que l’Europe soit ainsi fidèle à sa propre mission. Mais nous avons mené aussi des batailles sur des enjeux décisifs sur le plan économique, industriel, social… Nous avons obtenu une première vraie mesure de protection du marché européen, à travers le Mécanisme d’ajustement carbone aux frontières, qui va redonner de l’oxygène à nos entreprises, tout en faisant de notre marché intérieur, avec ses 650 millions de consommateurs le plus grand levier mondial dans la décarbonation des pays tiers. C’était notre premier engagement en 2019, et une réalité depuis le 1er octobre dernier.
Pendant si longtemps, l’Europe a privilégié ses intérêts matériels de court-terme sur les principes qu’elle devait défendre et sur sa propre sécurité. C’est de cette faiblesse que viendra le danger qui menace déjà notre continent.
« Plus le mal commis est grand, plus le pardon est difficile, mais plus il peut être grand », notez-vous à la suite de Jankélévitch. Les massacres commis par le Hamas en Israël sont-ils pardonnables ?
Le temps n’est pas à cette question, mais au deuil, et à l’urgence de protéger la population d’Israël. Le combat qui s’engage n’est pas une vengeance, c’est une opération nécessaire pour détruire le danger, et qui doit être menée selon les règles d’un engagement armé. Contrairement au Hamas, qui est une organisation terroriste, le but de l’armée israélienne n’est pas de tuer des civils, mais de frapper des cibles militaires avec le moins de victimes collatérales possibles.
La question du pardon se posera en son temps. L’histoire du peuple juif porte avec elle cette immense et difficile question des limites du pardon : la Shoah est la matérialisation du mal absolu à partir duquel se pense la possibilité de l’impardonnable. D’un premier texte publié en 1948, au Pardon paru en 1967, Jankélévitch change lui-même de position : il finit par affirmer qu’il n’est rien qui ne puisse être pardonné. Mais c’est l’effet d’un long chemin et d’un temps incompressible, qui doit être respecté. Et personne ne peut parler au nom des victimes.
La France Insoumise refuse de qualifier le Hamas d’organisation terroriste. Ce mouvement sort-il, ce faisant, du « champ républicain » ?
Il sort en tous cas du champ de la dignité élémentaire. La fuite de Mathilde Pano, qui quitte le micro en conférence de presse pour ne pas qualifier le Hamas d’organisation terroriste, est irréelle… Cette position me révolte ; mais il me semble que la réponse ne peut consister à interdire par le droit une faillite qui est d’abord politique et morale. Il faut d’abord la combattre, précisément, sur le plan de la politique et de la morale, par les arguments de la démocratie libérale : l’intelligence, la logique, la démonstration sans concession.
La position [de La France Insoumise] me révolte ; mais il me semble […] qu’il faut d’abord la combattre, précisément, sur le plan de la politique et de la morale, par les arguments de la démocratie libérale : l’intelligence, la logique, la démonstration sans concession.
L’affaiblissement des Républicains s’explique-t-il d’abord par un manque de travail conceptuel, ou par un rétrécissement sociologique ?
La vie démocratique en général s’est affaiblie, en devenant l’exercice d’agréger des clientèles plutôt que l’effort de proposer une vision au pays. Le dernier vote qui a réuni les Français au-delà des clivages sociaux, c’est celui de 2007 : des ouvriers votaient pour Nicolas Sarkozy, et il y avait une bourgeoisie urbaine à gauche… Aujourd’hui, la politique tend à se réduire à de la sociologie, et même à de la géographie. Si nous voulons refonder le débat démocratique, et reconstruire la droite, nous ne devons pas retrouver une clientèle, mais une vision. La nomination par Eric Ciotti d’Emmanuelle Mignon comme vice-présidente des LR chargée du projet, le développement de la direction des études et le lancement d’un média vont dans le bon sens pour cela.
Pourquoi vouloir à nouveau conduire la liste des Républicains aux européennes après votre score décevant de 2019 (8,4%) ? Est-ce de l’obstination ?
Le score était décevant, c’est vrai, par contraste avec la dynamique de la campagne ; rappelons qu’on nous promettait 6 à 8 % avant que je devienne candidat. Ce résultat était déjà le signe de la faiblesse que vivait notre famille politique, concurrencée par les illusions du macronisme. Je suis convaincu que nous pouvons saisir l’occasion des prochaines européennes pour nous relever, et ce qui est essentiel, retrouver la perspective d’une alternance pour le pays. Si je suis choisi pour mener cette campagne à nouveau, je serai heureux de m’engager dans cette bataille, pour rendre compte du travail accompli et des résultats obtenus pendant ces cinq ans, et pour pouvoir les poursuivre avec plus de force encore. Le mandat qui viendra sera décisif : sur l’industrie, l’énergie, l’immigration, les enjeux géopolitiques, la France et l’Europe sont à la croisée des chemins.