Leonarda ou la triple ignorance du Président
Le Figaro m’ayant demandé un texte d’analyse sur l’affaire Leonarda, je relaie ici ces lignes, publiées dans l’édition d’aujourd’hui.
Il est des décisions qu’il faut regarder comme des symptômes. L’intervention du président de la République dans le dossier de la jeune Leonarda a marqué et inquiété les Français, parce qu’elle confirme que nos gouvernants agissent dans l’ignorance de trois repères pourtant nécessaires à l’équilibre de notre société.
En s’adressant à la collégienne expulsée pour lui proposer, « et à elle seule », de revenir en France, François Hollande a d’abord montré qu’il ignorait délibérément la réalité d’une famille. De quel droit un responsable public pouvait-il s’adresser directement à une mineure, sans un seul mot pour ses parents ? Quels que soient leurs défauts, et leurs torts certainement bien réels dans cette histoire, ils demeurent évidemment les premiers responsables de leurs enfants. Mais il y a plus grave encore que ce mépris affiché pour le rôle des parents, auquel la politique familiale et éducative du gouvernement nous a déjà, hélas, suffisamment habitués. Par sa proposition, le président de la République place une jeune fille de quinze ans devant une alternative inhumaine : il la somme publiquement, sur les écrans de toutes les chaînes nationales, de choisir entre la France et sa famille. Après le traumatisme de l’expulsion, Léonarda se trouve piégée par François Hollande dans un épisode de téléréalité qui ressemble à un cauchemar. Abandonnera-t-elle ses proches pour aller chercher un avenir loin d’eux ? Cette simple proposition du président dit tout de la vision du monde et de l’homme qui semble inspirer sa majorité : on peut lire en elle l’éclatement de cette solidarité première qu’est la cellule familiale, la solitude de l’individu que l’on déplace au gré des calculs, le primat de la volonté politique qui, en toute bonne conscience, arrache un enfant à ses frères, ses soeurs, ses parents, aux liens primordiaux qui le construisent. Pour faire cette proposition, il fallait ignorer ce qu’est une famille.
Il fallait aussi abandonner tout sens de la loi. Voici un président de la République qui intervient pour dire que le droit, la loi et les décisions de justice ont été respectées ; et qui n’affirme cela que pour les contredire immédiatement, dans une décision caractérisée par l’arbitraire le plus total. Le chef de l’exécutif décide donc, de façon parfaitement unilatérale, que des décisions judiciaires plusieurs fois confirmées ne seront pas appliquées. Et puisque, une fois passé la loi, il n’y a plus de bornes, voilà toute la majorité qui s’engage derrière lui dans une sinistre négociation : qui laisserons-nous revenir ? Personne ? Seulement les enfants ? Avec la mère ? Mais sans le père ? En lieu et place des processus démocratiques, qui garantissent l’application égale du droit pour tous, l’opinion subjective des figures du clan socialiste se permet de faire la loi, au grand jour. Jamais le principe de séparation des pouvoirs n’aura été aussi massivement méprisé, jamais l’arbitraire des puissants n’aura été aussi tranquillement affirmé – et par ceux-là mêmes qui s’étaient fait une spécialité de dénoncer l' »hyperprésidence » de Nicolas Sarkozy. Cet épisode renforcera chez les Français le sentiment désespérant que l’application du droit est affaire de calculs et de combinaisons dont les ressorts obscurs n’ont rien à voir avec la justice : selon que vous serez médiatisé ou non… Pour se permettre semblable « jugement de cour », il fallait bien ignorer ce qu’est une loi.
Au fond, et c’est là ce qui reste encore le plus inquiétant, il semble que le président de la République ignore jusqu’à sa propre fonction. Au moment où serait nécessaire une parole qui prenne de la hauteur, qui fixe une orientation générale, qui dessine une vision d’ensemble – il se tait. Lorsque son propre camp se déchire sur la question fondamentale de l’intégration, par exemple, il se tait, et son silence est insupportable. Mais que survienne un cas particulier – important, certes, mais qui demeure le cas d’une famille parmi tant d’autres : alors il intervient avec fracas, entre dans le dossier par l’effraction des écrans de télévision pour court-circuiter en direct tous les intervenants légitimes et offrir une solution à la fois inexplicable et injustifiable. François Hollande sait-il bien quel est son propre rôle ? Pour agir ainsi, ignorait-il ce qu’est un président de la République ?
Cette triple ignorance du chef de l’Etat et de sa majorité a donné lieu à l’un de ces grands moments du théâtre de l’absurde auquel notre vie politique nationale finit trop souvent par ressembler. L’absurde donne le vertige, ou la nausée ; il fait rire aussi parfois, et nous pourrions nous sortir de cette situation en souriant, si elle n’était aussi tragique. L’ignorance des puissants est toujours destructrice. Et cette fois encore, elle a fait des victimes : je plains de tout cœur Léonarda et ses frères et sœurs, gamins ballottés entre le mirage européen qui aimante les peuples fragiles, et la cruauté d’une lâcheté déguisée en « humanisme » qui n’aura pas su leur offrir même la sécurité d’une parole claire. Le visage angoissé de Léonarda, jetée en pâture aux caméras du monde entier, constitue une obligation pour nous tous. Il nous commande de combattre l’inconscience de nos propres dirigeants par le travail d’une pensée exigeante, qui reconstruira patiemment une vision plus juste de la famille, de la loi et de la République.
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