« Pourquoi je soutiens Bruno Retailleau pour la présidence des Républicains » – Entretien dans Valeurs actuelles

Article initialement paru dans Valeurs actuelles.


Valeurs actuelles. Pourquoi avez-vous décidé de soutenir Bruno Retailleau dans la campagne pour la présidence des Républicains ?
François-Xavier Bellamy.
J’avais déjà soutenu très activement Bruno Retailleau lors de la dernière élection interne, en 2022. Je suis convaincu qu’il est capable de reconstruire notre formation politique et de lui redonner les fondations dont elle a besoin pour apporter à la France le changement de cap dont elle a tellement besoin. C’est cela qui compte dans nos combats – non le parti, mais le pays. Les Français sont très nombreux à partager aujourd’hui, par la confiance qu’ils lui témoignent dans les enquêtes d’opinion, l’intuition qui m’avait conduit à m’engager auprès de lui.

Ce qui définit le mieux Bruno Retailleau, c’est l’unité de sa pensée et de son action. Je le connais depuis plus de dix ans : il n’a jamais varié, il n’a jamais dévié, il n’a jamais changé de ligne. Dans ce contexte politique pourtant très contraint, il prouve aujourd’hui qu’on peut arriver aux responsabilités sans abdiquer ses convictions. La droite retrouvera la confiance des Français en démontrant qu’elle ne se reniera pas au moment d’agir. C’est aussi le sens des combats que je mène chaque jour au parlement européen pour tenir les engagements que nous avons pris.

Craignez-vous une nouvelle « guerre des chefs », pour reprendre les mots de Laurent Wauquiez  ?
Je ne m’engage pas dans cette élection contre Laurent Wauquiez. Je sais tout ce que nous avons vécu ensemble, et le rôle qu’il jouera pour l’avenir. Dans une même famille, il est possible de vivre une compétition sans avoir des ennemis. Sur le fond, la droite n’a jamais été aussi unie. Il n’existe pas, entre nous, de divergences majeures, comme on peut en constater dans les contradictions d’alliances du Parti socialiste ou dans l’éclatement manifeste du « en même temps » macroniste.

Cette élection doit donc seulement servir à trancher la question de l’incarnation ?
Nous avons d’abord beaucoup de travail pour reconstruire cette formation. Au Parlement européen, j’observe que la droite gagne partout en Europe. En 2019, dans l’Union européenne, sept pays étaient gouvernés par des alliés de LR. Aujourd’hui, ils sont quatorze. Et ce n’est pas fini : dans quelques jours, la CDU reprendra sans doute le pouvoir en Allemagne ; dans quelques mois, espérons-le, ce sera le PP en Espagne. Ce mouvement de fond coïncide avec une prise de conscience collective. La droite qui gagne, c’est celle qui a rompu avec les erreurs du passé. Friedrich Merz tient une ligne totalement opposée à celle d’Angela Merkel sur les questions migratoires, par exemple. Tous les partis de droite qui remportent aujourd’hui les élections sont passés par un profond renouvellement.

Cela passe aussi par une réorganisation très concrète. Avec Bruno Retailleau, depuis longtemps, nous voulons rendre leur parti aux électeurs de droite. Nous héritons des fondateurs de la Ve République, mais nous n’appliquons pas assez ses principes à notre fonctionnement interne. Le référendum, par exemple, doit être au cœur de la vie démocratique de cette famille politique. En 2022 déjà, nous proposions que les questions majeures soient tranchées par le vote des adhérents, comme les investitures aux élections. S’imposer cette exigence, c’est garantir concrètement que ce parti restera fidèle aux aspirations de ceux qu’il doit représenter.

L’avenir des Républicains passera-t-il inévitablement par une alliance avec certaines figures du macronisme, comme le propose Gérald Darmanin ?
Le pays n’attend pas la continuité, il attend l’alternance. J’ai résisté pendant des années, comme Bruno Retailleau et ceux qui sont restés fidèles à notre famille, à la paresse du « en même temps » ; ce n’est pas pour y tomber maintenant. L’idée qu’il y aurait un « bloc central » opposé à deux extrêmes est à la fois fausse et dangereuse. Le vrai clivage politique, au fond, oppose toujours deux tempéraments, une droite et une gauche. Si nous parvenons à reconstruire la droite, nous verrons revenir à elle des Français qui l’avaient quittée, et il faudra bien sûr rassembler. Mais la condition, c’est d’abord cette refondation. Pour sortir de la crise qu’elle traverse, la France doit sortir des ambiguïtés qui n’ont cessé d’empêcher l’action ; il faudra pour cela, dans tous les domaines, une vision claire, courageuse, déterminée. Je ne me suis pas opposé au macronisme triomphant pendant huit ans pour venir sauver le macronisme agonisant.

LR participe pourtant à un gouvernement qui a adopté dans son budget une contribution exceptionnelle sur les grandes entreprises pouvant aller jusqu’à 41 % de l’impôt sur les sociétés. Est-ce vraiment à la droite de défendre une telle mesure ?
Ce n’est clairement pas le budget que j’espère voir un jour adopté pour que la France se relève. Mais il ne vous a pas échappé qu’il n’y a pas aujourd’hui une majorité LR à l’Assemblée nationale, et que le ministre de l’Économie n’est pas issu de nos rangs. Ceci n’est pas une alternance ; dans la situation de chaos dont nous héritons, nous avons simplement considéré que notre devoir était d’entrer au gouvernement pour éviter que la gauche ne soit la première force parlementaire et arrive ainsi au pouvoir. Dans la période actuelle, le but de cette participation n’est pas d’abord d’obtenir le meilleur, qui sera rarement possible, mais seulement d’éviter le pire, qui serait sinon certain.

Partagez-vous la proposition de David Lisnard, qui invite tous les représentants de la droite, qu’ils viennent du camp macroniste, des Républicains, de Reconquête et d’ailleurs, à une grande primaire pour l’élection présidentielle de 2027 ?

J’ai beaucoup d’amitié et d’admiration pour David Lisnard, et pour le combat qu’il mène pour renouveler en profondeur la pensée de la droite. Je crois malgré tout qu’il y aurait un risque dans cette proposition : elle mettrait sur le même plan tous les candidats potentiels, quelle que soit leur étiquette et leur éventuel bilan. Je ne crois pas à la possibilité d’une alternance si elle devait se jouer derrière un candidat qui aurait incarné le macronisme pendant des années. À nous de susciter l’élan incontestable qui conduira des personnalités de tous bords à rallier la ligne claire que nous proposerons, et non l’inverse.

Comment jugez-vous le projet d’Éric Ciotti, qui voit dans son alliance avec le Rassemblement national l’horizon indépassable de la droite ?
Le problème est qu’il suffit d’écouter Marine Le Pen, qui ne cesse de répéter qu’elle refuse d’assumer une politique de droite. Interrogée récemment sur la nécessité de diminuer le nombre de fonctionnaires, elle balaie la question, estimant que c’est « des trucs de droite ». Sans réformes courageuses, pourtant, la France n’échappera pas au déclin. Parce qu’en réalité, on ne peut pas séparer les sujets, contester la gauche sur l’identité du pays et la rejoindre sur l’économie. L’économie implique aussi une vision de l’homme, et de la société. Nous croyons que le pays ne se relèvera qu’en retrouvant le sens de la liberté, de la responsabilité, du travail, ce qui impliquera une rupture radicale avec la domination intellectuelle imposée par la gauche depuis longtemps. On ne reconstruira ni la droite, ni la France, sans assumer ce courage.

Ne percevez-vous pas une évolution du Rassemblement national sur les questions économiques ?
Regardons les actes : le RN a voté récemment avec LFI pour abroger même la timide réforme des retraites qu’avait faite François Hollande. Il a voté contre l’amendement proposé par LR pour conditionner le versement du RSA à 15 heures de formation ou de travail hebdomadaire pour permettre le retour à l’emploi. Le RN refuse de réformer l’indemnisation du chômage, alors qu’il y a des centaines de milliers d’emplois non pourvus en France. Ce parti pris alimente malheureusement la fuite en avant migratoire : faute de faire des réformes courageuses pour revaloriser le travail, nos politiques ont accepté l’immigration massive qui devait pallier les problèmes de recrutement des entreprises. Là encore, tout est lié.

Le débat sur une légalisation de l’euthanasie devrait prochainement arriver à l’Assemblée nationale. La droite doit-elle s’opposer fermement à ce projet de loi ?
La droite a porté la loi Léonetti, qui avait été adoptée à l’unanimité du Parlement. Cette loi n’a jamais été pleinement appliquée. Une vingtaine de départements n’a même aucun lit de soins palliatifs. Les déserts médicaux se multiplient, comme les situations d’abandon de nos aînés, trop souvent relégués aux marges de la société. Tout cela fausse profondément le débat aujourd’hui. Les partisans de l’euthanasie voudraient que les Français aient le choix entre une longue souffrance et une mort rapide ; mais cette alternative désespérante n’est pas une fatalité. Le vrai choix serait enfin, pour toute notre société, de se donner les moyens de soulager la souffrance, et d’appliquer vraiment la loi qu’elle s’est donnée. Il n’y a rien d’impossible à cela. Pour le comprendre, il suffit d’écouter les soignants, qui sont massivement opposés à cette rupture majeure.

Craignez-vous que l’adoption de la loi entraîne des dérives ?
Cette loi serait une dérive en soi. Une fois que le principe est posé, il n’y a aucune raison de ne pas en accepter les conséquences. Le modèle belge, par exemple, est hélas parfaitement cohérent. Une jeune femme de 23 ans, rescapée des attentats de Bruxelles en 2016, a été euthanasiée il y a deux ans ; cela a suscité une vive émotion. Mais si, parce qu’une personne souffre, il est permis d’abréger sa vie, alors à quel titre pourrait-on refuser à une personne dépressive le droit de mourir ? Ou à un enfant ? Ou à un prisonnier ? En Belgique, plusieurs détenus condamnés à de longues peines ont été euthanasiés. Les promoteurs du suicide assistés promettent d’éviter ces dérives ; il n’y a là pourtant que l’application logique du principe qu’ils veulent imposer.

Les discussions à l’Assemblée nationale ont d’ailleurs conduit déjà aux options les plus radicales. Le texte examiné avant la dissolution crée par exemple un délit d’entrave au suicide assisté : si l’un de vos proches vous confie être tenté de mettre fin à ses jours et que vous cherchez à l’en dissuader, vous pourriez être pénalement coupable. Cela va à l’encontre de l’expression la plus fondamentale du lien humain, l’appel à prendre soin de la vie d’autrui.

Autre débat de société qui enflamme la classe politique : celui du droit du sol. Comment réformer un droit férocement protégé par la Constitution ?
Avec Bruno Retailleau, nous avons toujours assumé la proposition d’un référendum constitutionnel. C’est la seule voie possible pour rendre aux Français la décision sur la politique migratoire de leur pays. Lorsque viendra l’alternance, ce sera l’une des premières priorités, qui peut être mise en œuvre très rapidement. Pour l’instant, ce sont les députés LR qui ont permis qu’au moins le droit du sol ne soit plus un appel d’air vers Mayotte. Il ne sera possible d’aller plus loin qu’après avoir fait évoluer le cadre constitutionnel.

Quel bilan laissera Emmanuel Macron ?
Soyons honnêtes : Emmanuel Macron n’est pas le seul responsable de la crise que connaît notre pays. Les formations politiques qui ont gouverné pendant ces dernières décennies ne peuvent s’exonérer de leur responsabilité. Mais alors que le macronisme prétendait incarner le « nouveau monde », il aura additionné les défauts de ce qui l’avait précédé. Le relativisme, l’incohérence, l’abandon du réel, l’oubli du temps long, l’obsession de la communication et de l’immédiateté, le « déclin du courage » dont parlait Soljenitsyne : voilà ce avec quoi il faut rompre pour relever le pays. Dans son histoire, la droite a laissé de belles pages et affronté des crises graves ; mais il est clair que si elle avait tout bien fait, elle n’en serait pas là aujourd’hui, et la France non plus. Maintenant elle a le devoir de se reconstruire, pour pouvoir incarner cette espérance dont le pays a tant besoin.