Qu’est-ce qui est du droit ?
Texte paru dans la newsletter Time To Philo.
La France entre dans un débat important pour la réforme constitutionnelle voulue par le Président. Une réforme qui ne saurait être anodine, puisqu’elle touche à un texte juridique essentiel… On peut même voir dans la Constitution le texte qui nous conduit à reconnaître un impératif comme étant de nature juridique.
Qu’est-ce qui en effet détermine ce qui est du droit, et ce qui ne l’est pas ? Toutes les normes ne sont pas juridiques. Il nous arrive quotidiennement de rencontrer des injonctions, dont beaucoup proviennent d’autre univers normatifs que le droit. Consignes techniques, obligations familiales, règles morales, préceptes religieux, se présentent à notre conscience ; mais ils ne font pas partie de la loi de la cité, et nous ne leur devons pas la même obéissance. Comment alors distinguer, au milieu de toutes ces injonctions, celles qui relèvent du droit ?
Le positivisme juridique, incarné notamment par le philosophe Hans Kelsen, apporte à cette question une réponse simple : une norme est juridique si elle est produite conformément à la constitution. L’univers du droit est semblable à une pyramide, organisée selon la hiérarchie des normes : tout en bas, l’arrêté, la décision ou le jugement sont des énoncés juridiques valides, si ils sont édictés conformément à la loi, qui elle-même doit avoir été produite conformément à la constitution. La constitution est donc la « norme fondamentale » : elle est le texte par lequel nous définissons le mode de production du droit.
L’édifice du droit est donc un système, clos sur lui-même, qui se définit simplement par son caractère procédural : n’importe quelle règle peut devenir juridique, pourvu qu’elle ait été intégrée à ce système conformément aux modalités de sa production. Au point qu’un fait qui aurait pu passer pour un délit ou un crime, peut devenir un impératif juridique s’il s’effectue conformément à la constitution. Vous menacer de séquestration si vous ne donnez pas une partie de vos biens, cela s’appelle un vol – ou un impôt, selon que vous avez affaire à une injonction adressée au nom de la loi, ou contre elle…
Face au positivisme juridique, une objection s’élève pourtant : n’y a-t-il pas des normes qu’aucune procédure ne pourra jamais rendre juridiquement valides ? C’est ce qu’a jugé le premier tribunal pénal international, celui de Nüremberg, formé après la Seconde Guerre mondiale pour condamner les crimes nazis. Les hauts fonctionnaires et les officiers qui y étaient accusés pouvaient répondre qu’ils n’avaient jamais enfreint aucune loi, le nazisme étant de surcroît parvenu démocratiquement au pouvoir. En les condamnant, les juges de Nüremberg affirmaient donc que le droit doit reconnaître des règles intangibles, supérieures à toute constitution – ces droits de l’homme que toute la philosophie antique et médiévale avaient tenté de décrire dans le nom de « droit naturel. »
En s’appuyant sur cette certitude que le droit doit se conformer à une norme qui le précède, et qui ne dépend pas de nos décisions politiques, nous pourrons redonner tout son sens au débat constitutionnel : ce texte fondateur n’est pas tant la « norme fondamentale » que l’expression de notre aspiration commune à la justice, sans laquelle le droit perdrait son essence et sa validité.
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