Pierre Person, député de la 6ème circonscription de Paris, en train de « choisir » le délégué général d’En Marche.
Texte paru sur Figaro Vox le 20 novembre 2017.
18 juin, deuxième tour des législatives : En Marche remporte la majorité à l’Assemblée nationale. Sur une promesse majeure : celle de renouveler la politique. Combien de fois ai-je entendu en faisant campagne : « il faut en finir avec les partis centralisés, dirigés depuis Paris, construits comme des écuries au service d’une seule personne… » Avec le mouvement En Marche, on allait enfin repartir du terrain, faire travailler ensemble les Français, donner toute sa place à la société civile, consulter et co-construire. Bien des Français ont cru à cette promesse, et ont soutenu un président qui disait incarner un « nouveau monde » fait de participation démocratique, de contribution citoyenne, de transparence et d’ouverture. Et leur candidat l’assurait : « La nouvelle politique, ça n’est pas venir dans une salle voter une motion déjà décidée. »
18 novembre, cinq mois plus tard. Au congrès du parti En Marche, des adhérents élisent le délégué général que le Président leur a désigné comme seul candidat : Christophe Castaner, formé par vingt ans de manœuvres dans l’appareil socialiste, et qui raconte avoir rejoint Emmanuel Macron « avec des étoiles dans les yeux ». Pour ma génération, LREM est désormais l’occasion d’une expérience unique : être projeté à la grande époque du Parti Communiste de l’Union Soviétique… Le nouveau délégué général du parti présidentiel dit « assumer la dimension amoureuse » de sa relation avec le « chef », et être « fasciné par son intelligence et même sa puissance physique. » Il dirige donc désormais En Marche – le premier parti dont le nom ait été formé par les initiales de son fondateur. Le congrès a été rondement mené. Un débat a été improvisé deux jours plus tôt, parce qu’un congrès sans débat aurait été bizarre quand même ; mais tous les débatteurs ont pris soin d’affirmer leur soutien au futur délégué général. Pour mieux s’assurer encore de l’unanimité du scrutin, le vote s’est fait… à main levée. Et avec des votants triés sur le volet : 75% d’entre eux ont été désignés par la direction du parti elle-même ; les 25% restant ont été « tirés au sort » dans une opacité absolue. Les 300 000 « marcheurs » qui ont cru au renouveau démocratique n’ont donc, eux, plus voix au chapitre… Il ne leur reste qu’à contempler le spectacle auquel aboutit leur bel engagement : des ministres et des députés faisant des selfies en agitant des cartons verts pour faire semblant de choisir celui que « le boss » a voulu. Le Nouveau Monde, c’est beau comme l’ancien. Comment peut-on trahir à ce point…
Une telle imposture porte de graves conséquences, non seulement pour En Marche, mais pour la France. Si le nouveau pouvoir n’écoute même pas ses militants de la première heure, comment les nombreux citoyens déjà éloignés de la politique pourraient-ils retrouver l’espoir qu’il veuille bien un jour les entendre ? Et ultimement, une action conduite dans ces conditions prend le risque de produire des résultats catastrophiques : quels que soient le talent et l’intelligence de celui qui la dirige, une organisation aussi verrouillée, en se protégeant étroitement de toute remise en question, ne peut que produire dans cette surdité volontaire des politiques déconnectées du terrain, aux antipodes de la promesse qu’avait incarné la proposition d’Emmanuel Macron.
Je n’ai pas cru à cette promesse ; et pourtant, samedi, le spectacle de ce nouveau monde s’humiliant en agitant des cartons verts a fait naître en moi une profonde colère. Colère devant l’ampleur inouïe de l’escroquerie électorale dont la France a été victime. Colère pour tous les marcheurs qui ont sincèrement espéré un renouveau politique dont en effet nous avons tous tellement besoin. Et je voudrais dire ici ma profonde admiration pour tous ceux qui, connus ou anonymes, après avoir tant donné à ce mouvement, ont assez d’exigence intellectuelle pour être lucides, et assez de courage pour parler librement de leur inquiétude et de leur déception. Comment ne pas les comprendre… Ils ont espéré participer à un nouveau moment démocratique, et ils se retrouvent aujourd’hui avec le plus narcissique, le plus centralisateur, le plus autocratique des présidents de la République. Qui désigne ses opposants par des mots d’une violence qu’on n’aurait pardonnés à aucun de ses prédécesseurs. Qui voudrait qu’aucun parti ne puisse incarner une alternative respectable, qu’aucune collectivité ne puisse apporter un équilibre à son pouvoir solitaire. Qui choisit les journalistes capables de comprendre sa « pensée complexe. » Qui empêche le parlement de contrôler le gouvernement en imposant le silence à l’administration, par la sanction brutale d’un chef d’état major qui osait dire la vérité aux élus de la nation. Qui dès le lendemain des législatives écrasait tranquillement la séparation des pouvoirs en faisant, déjà, élire à main levée à la tête du groupe majoritaire de l’Assemblée un candidat unique exfiltré par le pouvoir pour problèmes avec la justice…
Il y a cinq mois, je perdais les élections législatives ; malgré le travail de terrain, et la confiance de ma ville, je payais comme beaucoup d’autres pour les déceptions accumulées pendant des décennies par les partis politiques. Pour ma part je n’étais pas issu de ces partis politiques, et je comprends d’autant mieux cette soif de renouveau que je l’ai toujours moi-même profondément ressentie. Avec cinq mois de recul, je puis le dire aujourd’hui : l’échec n’est pas difficile, il fait partie de la vie. Cela m’a permis de garder le métier d’enseignant que j’aime tant, de poursuivre le travail de terrain entrepris au sein de l’équipe municipale, et de développer de beaux projets… Non, la défaite n’est pas aussi difficile que je l’imaginais. Ce qui est difficile et douloureux, c’est vrai, c’est d’avoir été impuissant face à la victoire d’un tel mensonge, d’une telle incroyable escroquerie. Mais cette amertume ne vaut que si nous y trouvons une obligation : celle de reprendre le travail ensemble, sérieusement et sincèrement, pour apporter de vraies réponses à ce profond besoin de renouveau.
L’avenir de notre démocratie suppose des alternatives. Il y a cinq mois, pour moi et toute l’équipe qui portait cette belle campagne, une seule exigence comptait, celle de la transparence, pour permettre aux électeurs de faire un vrai choix, en conscience. Face à nous, l’ambiguïté m’inquiétait déjà ; et j’avais prévenu, dès juin : « nous ne savons pas ce que les candidats d’En Marche feront des voix qui lui seront confiées. » Nous le savons désormais : le nouveau pouvoir a confisqué ces voix à son seul profit. Comme le disait sans gêne un parlementaire local, les élus d’En Marche doivent « représenter le gouvernement auprès des électeurs. » Incroyable renversement des rôles, pour ceux qui, même dans la majorité, devraient se reconnaître pour seule mission de représenter leurs électeurs auprès du gouvernement…
J’espère que ces élus qui ont noyé définitivement le 18 juin dans le 18 novembre éprouvent un peu de honte aujourd’hui, devant l’écart abyssal entre l’élan qui les a portés au pouvoir et ce qu’ils ont fait de l’espoir qui leur avait été confié. Pour ma part, une seule chose compte maintenant : la promesse de renouveau qu’En Marche avait prétendu incarner, il faudra demain, contre leurs renoncements, la tenir.