François Fillon a rejeté lundi la demande que lui avait adressée Marine Le Pen, qui demandait que soit garanti l’anonymat des élus qui parrainent un candidat à l’élection présidentielle. En substance, lui répond-il, les maires peuvent faire leur choix en toute indépendance ; quoique la requérante ne m’inspire aucune sympathie, je dois dire que cette réponse me paraît être d’une hypocrisie extraordinaire.
Publier les parrainages, une réforme inefficace et dangereuse
Rappelons les faits : la Constitution prévoit que, pour se porter candidat à l’élection présidentielle, il faut avoir été « présenté » par 500 élus, dont le vivier est essentiellement composé des 36 682 maires. Dans une élection aussi importante pour la V° République, rien n’est plus naturel que d’instaurer un filtre permettant d’éviter les propositions trop fantasques qui, sinon, ne manqueraient pas de se multiplier.
Mais ce filtre naturel a de toute évidence été dévié de son sens initial lorsqu’il a été décidé de publier ces signatures. Le principe originel prévoyait un seuil de cent parrainages seulement, dont la liste n’était pas divulguée. C’est uniquement pour éviter un trop grand nombre de candidatures que ces règles ont été durcies : depuis la réforme constitutionnelle de 1976, les noms des signataires sont rendus publics. Le scrutin précédent avait rassemblé 12 candidats, et il semblait nécessaire de limiter ce nombre. Cette disposition s’est avérée inefficace, puisqu’elle n’a pas empêché la présidentielle de 2002 d’atteindre le chiffre record de 16 candidats. En attendant, elle a surtout fait la preuve de son caractère profondément antidémocratique.
Car quoi qu’en dise M. Fillon, il est faux que les maires puissent signer librement. N’importe quel élu sait que ce parrainage, aussi républicain soit-il, sera nécessairement interprété comme un soutien – ou comme un calcul. On ne peut demander à tous les citoyens d’être assez constitutionnalistes pour comprendre la distinction… Les maires, qui sont dans leur grande majorité sans étiquette partisane, ont légitimement à coeur d’éviter que les enjeux nationaux ne perturbent l’action locale. Il faut souvent protéger l’unité d’une équipe municipale aux sensibilités diverses, ou la relation avec une collectivité de rattachement. De ce fait, il est parfaitement raisonnable, dans l’intérêt même de la commune, de ne pas s’engager dans un choix qui ne comporte que des risques. La transparence qu’on impose aux maires implique qu’ils aient à porter, devant l’opinion et jusque dans leur propre conseil, un choix qui ne pourra que diviser. Le plus absurde serait d’ailleurs d’en venir à les blâmer de cette inquiétude très naturelle. Au nom de quoi vouloir les acculer à prendre une décision dont les effets indésirables sont si lourds ? Comment espérer d’eux qu’ils prennent ce risque pour leur équipe et pour leur ville ?
La place du peuple
Les élus ne sont pas responsables du blocage actuel, et M. Fillon le sait. Le principe de la publication des parrainages ne pouvait pas avoir d’autre résultat que celui de transformer un filtre légitime en véritable verrou politique : les grands partis ont confisqué la démocratie, purement et simplement. Ceux-là même dont les pratiques ont largement discrédité nos institutions, ceux qui sont les moins crédibles pour refonder la relation de confiance dont nous avons tant besoin, détournent sans pudeur les rendez-vous politiques qui s’annoncent. Le blocage que rencontrent plusieurs candidats sérieux, animés par le désir de porter un vrai projet à l’occasion des prochaines échéances, est un scandale démocratique – et il n’est pas nécessaire d’être en accord avec l’un d’entre eux pour le comprendre. Si ce blocage devait empêcher des millions de Français de faire leur choix librement, il dévaluerait profondément la signification démocratique du scrutin.
Au fond, ce problème n’est qu’un symptôme. C’est un aveu de faiblesse d’abord, car que pourrait craindre un responsable politique sérieux du débat avec ses contradicteurs ? Si ses idées sont justes, elles en sortiront renforcées. Vouloir éviter le dialogue est un signe de crainte. Au-delà, cette décision est surtout révélatrice d’une situation qui l’explique et la dépasse largement : la politique nationale est totalement, profondément, pathologiquement déconnectée du peuple. Elle se joue entre experts, conseillers et têtes d’affiches, « en interne », dans le jeu bien réglé des institutions, des partis et des médias. L’opinion publique, dans ce jeu, est une sorte de facteur partiellement imprévisible, qu’il s’agit de maîtriser au mieux et qui intervient, de façon plus ou moins maîtrisée, comme une perturbation presque aléatoire qui vient rebattre les cartes à intervalles réguliers.
La démocratie ne sera pas totalement vidée de son sens tant que les structures politiques n’auront pas installé définitivement les partenaires de cette partie presque fermée. La règle des 500 signatures pourrait devenir le moyen d’y parvenir. En choisissant, non pas seulement de la conserver, mais de la défendre, M. Fillon sait parfaitement ce qu’il fait. Il prend le risque de donner raison à Mme Le Pen ; et surtout, il contribue à enfermer le monde politique sur lui-même et à le priver d’un débat plus nécessaire que jamais.