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Agriculture : que chacun assume son bilan et sa responsabilité

Réponse à Jérémy Decerle en hémicycle au cours d’un débat sur l’agriculture européenne

Cher collègue, vous dites opportunément maintenant qu’il ne faut pas polariser le sujet de l’agriculture, mais vous souvenez-vous du moment où vous votiez pour la loi sur la restauration de la nature ? Et nous étions critiqués au PPE par vous ou par vos collègues parce que nous alertions sur le fait que ce texte allait faire baisser de 10 % la surface agricole utile en Europe ? Vous rappelez-vous le moment où notre délégation avait alerté sur la stratégie « De la ferme à la fourchette », que vous avez votée ?

Vous dites qu’il ne faut pas importer l’agriculture que nous ne voulons pas produire. Mais vous rappelez-vous avoir voté pour l’accord avec la Nouvelle-Zélande, que nous n’avons pas voté, parce qu’il va contribuer à faire venir sur notre sol des tonnes de produits que nous ne produisons pas chez nous : 30 000 tonnes d’agneaux, 20 000 tonnes de lait en poudre, développé avec des techniques que nous refusons à nos propres agriculteurs ?

Il est temps aussi de faire le bilan de ce que chacun assume et de regarder en face les responsabilités de nos groupes respectifs. Si nous voulons vraiment défendre l’agriculture, nous lui devons la vérité.


Revoir l’intervention : 

Derrière la culpabilisation de l’histoire européenne, le débat sur le communisme

Récit par le JDD de la bataille menée par François-Xavier Bellamy, dans le débat sur la culpabilisation de l’histoire européenne 

[…] Mais un détail étonne pourtant : lors de l’adoption par le Parlement de cette résolution, le texte ne porte plus le nom de son rapporteur initial, mais celui de Sabine Verheyen, membre allemande de la droite européenne du PPE. Plus étonnant encore : certains eurodéputés du PPE ont voté pour cette résolution ! Summum de l’absurde : le député européen François-Xavier Bellamy, connu pour son attachement à la civilisation européenne et à « l’urgence de transmettre » s’est abstenu.
Ces incongruités s’expliquent par la tournure relativement inattendue qu’ont pris les débats. En recevant le texte initial « absolument délirant, du wokisme pur », Bellamy décide de déposer des amendements. Il propose par exemple de remplacer « le passé complexe, conflictuel et contesté de l’Europe » par « l’histoire millénaire et la richesse de son héritage » ; « les Européens doivent accepter leur passé » par « connaître leur passé », il propose également d’ajouter « l’héritage gréco-latin et l’influence de la culture judéo-chrétienne en Europe [qui] ont participé à l’émergence d’un sens commun et d’une conscience partagée de l’histoire »…

Mais François-Xavier Bellamy propose surtout un amendement visant à inscrire le « communisme » dans les totalitarismes qui ont ensanglanté l’Europe au XXème siècle.

Ses collègues d’Europe centrale et orientale soutiennent immédiatement la démarche, et les eurodéputés se chargent alors de trouver une majorité.

Le débat change alors de nature et se cristallise autour de ce sujet : les élus de l’Est rêvent de rapporter un texte du Parlement européen condamnant le communisme pour le présenter à leurs électeurs ; une partie de la gauche ne digère pas l’affront. À commencer par le rapporteur du texte Niyazi Kizilyürek. Mais l’amendement est adopté. Furieux, ce dernier abandonne son texte – ce qui n’arrive absolument jamais – pour prendre la tête de l’opposition à ce texte. Et c’est la présidente de la commission dans laquelle il est présenté qui en écope. La fameuse eurodéputée allemande du PPE, qui n’a pas écrit une ligne de ladite résolution.

Puisque le débat s’est cristallisé autour de la reconnaissance des crimes du communisme soviétique, que faire ?

Le débat s’ouvre au sein du PPE. Certains députés des pays de l’Est décident de voter le texte, heureux de cette première criminalisation du communisme par le Parlement européen.

« Il faut bien comprendre que les eurodéputés qui viennent de ces pays-là et qui siègent à droite sont souvent des dissidents de l’Union soviétique, qui ont entamé leur engagement politique de l’autre côté du rideau de fer. Cette bataille-là les a intéressés plus que quiconque, elle était vraiment primordiale pour eux », détaille François-Xavier Bellamy.

Si lui s’est abstenu, c’est parce qu’il « n’imaginait absolument pas voter un tel texte », mais il ne souhaitait pas non plus renforcer l’opposition au texte qui dépassait le texte lui-même. « À partir du moment où la gauche a fait du rejet de ce texte une bataille idéologique pour refuser l’inscription du communisme parmi les fléaux du siècle dernier, je n’imaginais pas voter avec eux. »

« Ces textes n’ont aucune portée législative pour quiconque »

Reste que la résolution est adoptée, qui encourage les États membres à dépasser leurs histoires nationales au profit d’une histoire européenne et qui résume cette dernière à ses pages sombres. « Il faut bien comprendre que ces textes n’ont aucune portée législative pour quiconque, et qu’ils ne sont évidemment pas contraignants, se défend encore François-Xavier Bellamy. Ils servent de terrain de jeu à des confrontations idéologiques. Ils ne sont pas neutres et peuvent alimenter la jurisprudence lorsque cela s’y prête, ce qui n’est pas le cas en l’espèce ». En effet, dans l’Union européenne, seule la Commission a le droit d’initiative, et donc le pouvoir de créer des textes déterminants et contraignants. […]

De quoi meurt notre agriculture ?

De quoi meurt notre agriculture ? François-Xavier Bellamy et Anne Sander Illustration de Fabien Clairfond / Le Figaro

Tribune parue dans la Figaro le 22 janvier 2024

La crise actuelle est la conséquence directe de la politique menée par la Commission européenne qui, en prônant la décroissance et en multipliant les normes qui pèsent sur les exploitations, a asphyxié le monde agricole, déplorent les deux députés européens*.

De quoi meurt notre agriculture ? Il est des conversions subites à la cause rurale qui ne sauraient faire oublier que la crise que nous traversons a été voulue, choisie, planifiée, en dépit du bon sens et contre nos intérêts essentiels, au cours des dernières années – et particulièrement pendant le mandat européen qui s’achève.

Tout était écrit. Lorsque la Commission européenne a publié en mai 2020 sa stratégie dite « Farm to Fork » (« De la ferme à la fourchette »), le principe était clair : la « transition verte » de l’agriculture européenne imposait sa décroissance. Et ses conséquences prévisibles… Les agriculteurs avaient alerté immédiatement. Confirmant leurs inquiétudes, deux études d’impact avaient été publiées, la première par des universités allemandes, la seconde par le Département de l’agriculture des États-Unis. Toutes deux convergeaient sur ce point : la multiplication des normes qui se dessinait pour l’agriculture européenne, l’augmentation des jachères, la diminution drastique des protections phytosanitaires allaient produire une chute sans précédent de notre production agricole, qui inquiétait jusqu’à nos concurrents américains.

Avec notre groupe PPE, nous avons immédiatement dénoncé la gravité du danger. Mais nos alertes ont été balayées d’un revers de main par les promoteurs de cet agenda, directement écrit par l’écologie politique, et porté dans les institutions par la gauche, les verts et les élus macronistes.

Avec notre groupe PPE, nous avons immédiatement dénoncé la gravité du danger. Mais nos alertes ont été balayées d’un revers de main par les promoteurs de cet agenda, directement écrit par l’écologie politique, et porté dans les institutions par la gauche, les verts et les élus macronistes. Parmi eux, le président de la commission de l’Environnement, Pascal Canfin, lui-même issu des rangs écologistes, aura systématiquement choisi la ligne la plus radicale en matière de contraintes imposées au monde agricole, malgré les signaux d’alarme. Ces estimations étaient fausses, nous répondait-on ; les chercheurs universitaires avaient bien dû être compromis par quelque lobby agricole, et les Américains jouaient la désinformation.

Las, la troisième étude d’impact, publiée cette fois par les experts de la Commission européenne elle-même, confirmait les pires hypothèses : la stratégie « Farm to Fork » devait entraîner une baisse de production de 13 % d’ici à 2030.

Concrètement, cela devait impliquer une augmentation forte des prix de l’alimentation pour les consommateurs, une coupe estimée à 16 % du salaire des agriculteurs – qui comptent déjà parmi les plus bas revenus dans la plupart de nos pays…

La souveraineté alimentaire de nos États ne pouvait qu’en être encore fragilisée : alors que la France est devenue déficitaire dans sa balance commerciale agricole en 2019, les experts de la Commission prévoyaient que ces nouvelles normes européennes accroîtraient encore fortement notre dépendance aux importations pour le colza, le soja, le tournesol, le boeuf, et la doubleraient même pour les fruits et légumes !

Plus tragique encore, cette situation aurait aussi un impact sur bien des pays extra-européens qui dépendent de nos exportations pour se nourrir : en Afrique en particulier, anticipait l’étude d’impact, 22 millions de personnes basculeraient dans « l’insécurité alimentaire », un mot pudique pour dire la famine, faute de pouvoir compter sur la production de nos agriculteurs.

Malgré cette perspective désastreuse, la Commission, imperturbable, a mis en oeuvre son projet, et les nouvelles réglementations se sont succédé.

La loi dite « restauration de la nature » aura constitué un moment emblématique. Nous nous y sommes opposés dès le départ, négociant pied à pied pour éviter le pire, tout en continuant de combattre le principe même d’un texte dont le but reste toujours d’organiser la décroissance. Mentionnons, parmi d’autres points, le danger majeur que représentait le gel supplémentaire de 10 % des surfaces agricoles que cette loi voulait imposer à nos paysans. Alors que le RN était absent des négociations, nos nombreux amendements ont heureusement permis d’écarter cette règle folle, et d’autres encore ; mais le texte final a été adopté à 12 voix près, avec le soutien unanime des élus macronistes.

La vérité, c’est que les agriculteurs européens ont déjà fait d’immenses efforts, et ont aujourd’hui les standards environnementaux les plus élevés au monde. Leur imposer des normes intenables, faire baisser leur production, c’est offrir des parts de nos marchés à une alimentation produite dans des pays tiers qui ne s’embarrassent pas d’exigence écologique. C’est donc renforcer les modèles de production qui sont les plus destructeurs du climat et de la biodiversité…

Notre opposition déterminée à cette fuite en avant normative nous aura valu d’être accusés sans relâche par ses promoteurs, et par Pascal Canfin le premier, qui nous décrivait dans Le Monde comme les représentants d’un « trumpisme européen » parce que nous avons l’audace de défendre les agriculteurs… Nous demandons depuis un an un moratoire législatif pour leur permettre de reprendre leur souffle et de travailler, simplement. Après les attaques si virulentes de son camp, quelle stupéfaction d’entendre Emmanuel Macron reprendre finalement nos mots, en parlant à son tour de « pause environnementale ».

Mais le double jeu continue : seul le vocabulaire a changé.

De nouvelles normes à Bruxelles en surtranspositions à Paris, le macronisme continue de rendre la vie impossible à tous ceux qui nous font vivre. Pascal Canfin propose maintenant d’assumer clairement la décroissance de l’élevage, partant du principe que des « technologies capables de fabriquer du lait en laboratoire » permettront bientôt de « se passer totalement de vaches », quand Bruno Le Maire fait la promotion de la viande de synthèse. Que le macronisme n’ose plus jamais dire qu’il défend les agriculteurs !

Il ne défend pas plus la nature, d’ailleurs. La vérité, c’est que les agriculteurs européens ont déjà fait d’immenses efforts, et ont aujourd’hui les standards environnementaux les plus élevés au monde. Leur imposer des normes intenables, faire baisser leur production, c’est offrir des parts de nos marchés à une alimentation produite dans des pays tiers qui ne s’embarrassent pas d’exigence écologique. C’est donc renforcer les modèles de production qui sont les plus destructeurs du climat et de la biodiversité…

Cette logique détruit, en même temps, nos emplois, notre souveraineté et la planète : contresens absolu.

Les mêmes élus macronistes qui défendent la décroissance agricole de l’Europe au nom de l’environnement, ont voté l’accord commercial avec la Nouvelle-Zélande : après avoir fustigé l’empreinte carbone des éleveurs européens, M. Canfin et ses collègues font donc venir du bout du monde des tonnes de lait en poudre et des conteneurs d’agneaux stockés dans de l’azote liquide… Oui, on marche sur la tête. Il n’est jamais trop tard pour se réveiller. Ce sera l’enjeu crucial de l’élection européenne qui vient.

François-Xavier Bellamy est député au Parlement européen, président de la délégation française du groupe PPE
Anne Sander est députée LR au Parlement européen et négociatrice de la PAC pour le groupe PPE.


Nous ne sommes pas les représentants d’un Etat fédéral européen, mais d’une alliance de démocraties

Intervention de François-Xavier Bellamy en séance plénière au Parlement européen, le 17 janvier 2024

 

Monsieur le Président,

Je voudrais revenir au fond. Puisque les conclusions du Conseil évoquent la réforme des traités – effectivement indispensable –, revenons sur le vote que notre Parlement a vécu il y a quelques semaines, sur un projet portant réforme des traités de l’Union européenne.

Le fait est que nous nous engageons exactement dans la mauvaise direction, en voulant d’abord transférer toujours plus de compétences à l’Union européenne – comme une compétence exclusive sur l’environnement –, en voulant créer la possibilité pour la Commission européenne de lever de la fiscalité à la majorité qualifiée – c’est-à-dire sans l’accord de tous les États membres, et nous nous y sommes opposés, quand nos collègues de Renew et de la gauche l’ont soutenu –, ou bien en voulant retirer aux États leur souveraineté sur leur mix énergétique – qui est aujourd’hui garanti par les traités.

Le but de l’Europe est de renforcer nos démocraties pour les rendre plus souveraines. S’engager dans la bonne direction, c’est sans doute retrouver le sens de ce que les citoyens attendent.

C’est au fond un affaiblissement général des États membres qui se dessine, avec l’idée de passer un grand nombre de décisions de la majorité qualifiée à la majorité simple, ou bien que le Conseil ne pourrait même pas prendre part à la décision sur la composition du Parlement européen, ce qui ne se fait dans aucune démocratie du monde.

Chers collègues, nous ne sommes pas ici les représentants d’un État fédéral : nous sommes une association de démocraties, et le but de l’Europe est de renforcer nos démocraties pour les rendre plus souveraines. S’engager dans la bonne direction, c’est sans doute retrouver le sens de ce que les citoyens attendent.

Merci beaucoup.


Je suis le candidat de la clarté et de la constance

élection

Entretien exclusif avec le Figaro, paru le 15 janvier 2023

 

LE FIGARO. – Le président des Républicains vous a désigné tête de liste aux européennes. Quelle est votre première réaction ?

François-Xavier BELLAMY. – Je mesure l’importance de cette responsabilité. Je suis très reconnaissant à Éric Ciotti de sa confiance ainsi qu’à tous ceux, si nombreux, qui me témoignent leur soutien. Cette campagne engage beaucoup de l’avenir de notre famille politique mais aussi de la vie démocratique en France. Nous avons le devoir de réussir et je donnerai tout pour cela. Je suis le candidat de la clarté et de la constance.

Avec quelle équipe souhaitez-vous partir au combat ?

Cette question sera discutée dans les semaines qui viennent. Une chose est sûre : je me lancerai dans cette élection avec l’équipe qui sera la plus susceptible de convaincre les Français et de leur être utile en gagnant les batailles décisives qui nous attendront demain au Parlement européen. Pour cela, nous pouvons compter sur un vivier extraordinaire de talents, d’engagement, d’expérience. C’est un vrai atout, parce qu’on n’improvise pas la réussite d’un mandat. Je construirai cette liste avec Éric Ciotti et la commission d’investiture avec ce seul objectif. Il faudra une part de continuité, mais aussi, bien sûr, de renouvellement.

À quelle figure féminine pensez-vous pour la deuxième place ?

Les Républicains ne sont pas dans une politique superficielle de casting ; c’est aussi ce qui nous distingue d’Emmanuel Macron. La priorité, pour nous, c’est le fond.

Quelles sont vos principales motivations ?

Je suis engagé sans relâche depuis cinq ans pour faire entendre la voix des Français au Parlement européen et je vois à quel point notre continent est à la croisée des chemins. Les crises multiples que nous avons traversées ces dernières années ont confirmé les intuitions que nous défendions en 2019 : il faut reconstruire une Europe qui donne à nos démocraties les moyens de maîtriser leur destin. Cela suppose de ne plus passer par des normes asphyxiantes mais par des stratégies réalistes.

Au cours de ce mandat, nous avons rectifié ce qui devait l’être dans l’urgence ; maintenant, il reste à reconstruire en profondeur l’action européenne

Au cours de ce mandat, nous avons rectifié ce qui devait l’être dans l’urgence ; maintenant, il reste à reconstruire en profondeur l’action européenne. Mais cette élection a aussi pour enjeu la reconstruction de notre vie démocratique en France.

Parce que vous la jugez abîmée ?

Même s’il ne doit pas devenir un référendum national comme Emmanuel Macron et Marine Le Pen en rêvent, ce scrutin fera évoluer le centre de gravité de la vie politique française. Pour tous les électeurs de droite, c’est le moment de se retrouver pour affirmer leurs convictions. Nous traversons une crise très profonde et la réponse politique n’est pas à la hauteur des enjeux existentiels auxquels nous sommes confrontés ; preuve en est avec ce nouveau gouvernement, dont on voit bien qu’il n’incarne pas la promesse d’un cap enfin clair. Emmanuel Macron et Marine Le Pen se font la courte échelle et veulent réduire la vie démocratique à un choix qui n’en est pas un. 

Je le dis aux électeurs de droite : c’est le moment de prouver qu’il y a encore une place pour les priorités auxquelles vous tenez, pour la clarté des idées et le sérieux dans l’action. Ces élections européennes sont notre chance d’échapper au désespoir d’un second tour perpétuel, dont nous savons déjà qu’il n’apporte aucune solution aux grands problèmes du pays.

Quelles différences voyez-vous avec les élections de 2019, soldées par un score décevant malgré une campagne saluée ?

En 2019, les candidats étaient presque tous nouveaux. La République en marche n’avait tout simplement pas d’élus au Parlement européen. Quant à moi, c’était ma première candidature. La grande différence, c’est qu’après cinq ans, nous assumons désormais un bilan. Derrière l’ambiguïté du «en même temps», le macronisme aura été le fidèle supplétif de la gauche dans son projet de décroissance européenne : dirigés par des élus venus des Verts ou du Parti socialiste, les députés macronistes ont voté contre le nucléaire, soutenu l’inflation normative qui fragilise notre agriculture et notre industrie, poussé pour le renforcement de la pression fiscale.

En cinq ans, les élus du RN n’auront pas fait évoluer une seule virgule d’un seul texte européen

Quant au RN, son bilan est assez simple : il n’a littéralement rien fait. En cinq ans, les élus du RN n’auront pas fait évoluer une seule virgule d’un seul texte européen. C’est une question de travail, de courage et de détermination : avec notre délégation, même moins nombreuse, nous avons mené et gagné de nombreuses batailles.

Vos adversaires pourraient vous attaquer sur le terrain des convictions, notamment conservatrices. Comment déjouer ces pièges ?

Certains ont intérêt à multiplier les caricatures pour éloigner l’attention des vrais sujets. Pendant ce mandat, c’est nous qui, au nom des principes que nous ne devrions jamais abandonner, avons combattu les régressions qui menacent l’Europe. Après une longue bataille, j’ai fait voter un amendement pour interdire à la Commission européenne de financer des publicités proclamant que «la liberté est dans le hidjab». Comment les élus de gauche qui ont tout fait pour s’y opposer osent-ils encore faire des procès en féminisme?

Avec le recul, quelles erreurs ne souhaitez-vous plus commettre ?

Nous devons repenser la manière dont nous parlons aux Français. Par habitude, nous avons peut-être mené trop souvent campagne en parlant d’abord à nos soutiens, plutôt qu’à tous les Français, et en particulier à tous ceux qui ne se sentent plus concernés par la politique. Beaucoup ont le sentiment d’être orphelins, privés d’une parole qui les représente. C’est à eux que je veux parler dans cette campagne. Pour cela, nous voulons nous déployer partout en renouvelant nos méthodes, pour aller  où la parole publique ne porte plus, retrouver ceux qui ne croient plus en la politique, ou en la droite. Nous avons besoin que les Français se réapproprient ces élections européennes.

Sur quoi ferez-vous campagne ?

Les défis ne manquent pas. Sur la question migratoire, l’essentiel reste à faire pour permettre aux pays européens de maîtriser leurs frontières. C’est l’un des plus grands défis du siècle pour notre avenir et pour l’équilibre du monde de demain. Avec le sujet de notre sécurité, alors que la guerre est de retour aux portes de l’Europe, il est impératif de reconstruire notre sécurité économique : le continent européen doit retrouver la capacité de produire ce dont il a besoin. Au nom de l’écologie, la gauche et le macronisme n’ont cessé de défendre un projet de décroissance qui nous appauvrit, nous fragilise et nous rend dépendants d’une production importée désastreuse pour l’environnement… C’est la triple peine.

Il est temps de libérer ceux qui travaillent de cet amas de contraintes qui décourage toute responsabilité. Les agriculteurs sont en première ligne, ils alertent à juste titre, mais leur détresse nous concerne tous. Derrière ce combat contre ce qui empêche l’Europe de se projeter dans l’avenir, se joue aussi le déni de ses racines et de son identité.

Au nom de l’écologie, la gauche et le macronisme n’ont cessé de défendre un projet de décroissance qui nous appauvrit, nous fragilise et nous rend dépendants d’une production importée désastreuse pour l’environnement

Craignez-vous d’être pris en étau entre Jordan Bardella (RN) et Marion Maréchal (Reconquête!) ?

Non, pour une raison simple : personne d’autre que nous ne mène le travail que nous faisons. Prenez le sujet migratoire : à Paris, c’est le travail déterminé des élus LR qui a permis de faire voter une loi immigration qui renforce nos frontières ; c’est la même chose à Strasbourg. Le RN a voté contre l’augmentation du budget de Frontex par réflexe anti-européen. Les macronistes ont combattu notre proposition de financer les infrastructures physiques, les murs nécessaires dans certaines zones frontalières de l’UE. À chaque fois, nous avons gagné ces batailles. Quant à Marion Maréchal, je ne comprends pas le projet de sa campagne. Reconquête ! nous parle de l’union des droites, en ayant simplement créé une division supplémentaire. Dans un moment aussi décisif, se disperser serait irresponsable. Notre devoir est de rassembler les électeurs de droite dans cette élection, pour donner le plus de force possible à leurs idées en Europe.

Reconquête ! nous parle de l’union des droites, en ayant simplement créé une division supplémentaire. Dans un moment aussi décisif, se disperser serait irresponsable

Bardella appelle l’ensemble des militants des Républicains à rejoindre le RN…

Le RN se projette dans ses rêves de victoire nationale : Jordan Bardella se croit nommé premier ministre… Ce serait déjà bien d’exercer réellement son mandat de député européen. Le RN a gagné l’élection européenne il y a cinq ans ; mais il n’a rien fait de la confiance des Français, rien. Il aura seulement varié du tout au tout sur les sujets européens : il a vanté le Frexit et fait de la sortie de l’euro sa première priorité en 2017, avant de changer ensuite de discours. Pour ma part, je n’ai jamais varié, ni dans ma parole, ni dans mon action. À tous les Français qui espèrent la reconstruction d’une droite sérieuse, sincère et constante, je veux dire simplement : j’ai besoin de vous!

Le ralliement de Rachida Dati à la macronie risque-t-il de troubler le message de la droite ?

C’est le seul but d’Emmanuel Macron : créer de la confusion, au risque de désespérer les électeurs. Nous résisterons à cette entreprise de démolition. Dès que Rachida Dati est entrée au gouvernement, Éric Ciotti a clairement indiqué qu’elle ne faisait plus partie de notre famille politique.

Fin novembre, vous avez rencontré Nicolas Sarkozy. Vous a-t-il manifesté son soutien ?

Non, et je ne le rencontrais pas pour cela d’ailleurs. Nicolas Sarkozy est, bien sûr, libre de sa parole. Son choix lui appartient.

Quel sera le rôle de Laurent Wauquiez dans cette campagne ?

Laurent Wauquiez est une figure majeure de notre famille politique et je n’oublie pas que c’est lui qui m’a fait confiance en 2019 pour porter nos couleurs. Je suis heureux de compter sur son appui pour cette nouvelle campagne.

Quelle sera la conséquence sur votre campagne des travaux réguliers que vous menez avec David Lisnard (Nouvelle Énergie) et Hervé Morin (Les Centristes) ?

Nous avons partagé ensemble un travail de fond important sur les sujets essentiels pour la vie du pays. Désormais, je vais m’engager totalement dans cette nouvelle bataille des européennes ; c’est un autre moment qui s’ouvre pour moi. J’ai beaucoup d’amitié et d’estime pour David et pour Hervé ; avec eux, je veux fonder cette campagne sur l’expérience de ceux qui font que le pays tient debout dans les crises qu’il traverse, les maires et les élus locaux.

On dit que la survie de LR repose sur le résultat de ce scrutin. Une lourde responsabilité repose sur vos épaules…

J’en mesure l’ampleur : l’enjeu n’est pas la survie d’un parti, mais l’avenir du pays, et de l’Europe. Ma conviction profonde et sincère est que cette élection est d’abord et surtout, pour la droite, le moment de se relever. Si nous partons en campagne avec pour objectif d’éviter la catastrophe, nous ferons une grande erreur : les Français n’ont jamais été aussi nombreux à attendre ce que nous avons à leur proposer. Je suis prêt.

 

Propos recueillis par Emmanuel Galiero et Claire Conruyt

L’espérance est une forme de radicalité

Entretien initialement paru dans la revue Valeurs Actuelles du 9 novembre 2023. Photo : Jean-Baptiste Delerue / PHILIA

Quelle serait aujourd’hui notre raison d’espérer ?

Il faut regarder l’espérance pour ce qu’elle est : un acte de la volonté qui ne se cherche pas d’abord des raisons de se rassurer, mais qui s’impose de se battre comme si une chance existait, même quand toute la réalité semble nous dire qu’il n’y en a plus. Là réside la radicalité de l’espérance. Le courage de l’espérance, d’une certaine façon, c’est le courage désespéré. Comme le dit Bernanos, pour connaître l’espérance, il faut non pas avoir des raisons d’être optimiste, mais au contraire, avoir été au bout du désespoir. Et, ayant affronté le désespoir, se dire que si jamais il existe un chemin, si jamais il y a une chance que tout ce à quoi nous tenons et qui semble disparaître se relève et se ranime, cette seule chance même improbable vaut la peine qu’on engage notre vie entière pour pouvoir la rendre possible.

De quoi les évènements récents sont-ils le nom ?

Du retour du tragique de l’histoire. Derrière l’Arménie aux prises avec l’Azerbaïdjan, ou Israël attaqué par le Hamas, se découvre, en réalité, le même visage, même si chacun de ces conflits est singulier. Mais ce qui me frappe le plus, c’est, face à ce retour du tragique, le sentiment que nous n’avons plus la main, que nous n’avons plus la capacité d’agir et de décider du destin de notre monde et du nôtre.

C’est ce que vivent particulièrement tous ceux qui servent l’État, et qui sont concrètement confrontés à l’impuissance publique. Je pense aux policiers entendant le président de la République dire qu’on n’empêchera jamais le terrorisme. Je pense aux professeurs qui savent très bien que personne ne les protègera quand le premier fou furieux aura décidé de les sacrifier. Je pense aux infirmières qui voient l’hôpital s’effondrer autour d’elles sans pouvoir rien y faire. Tous ceux qui devraient être le bras de la force publique sont aujourd’hui les spectateurs désolés de son impuissance.

De quoi souffre l’Occident dont ne souffrent pas les autres parties du monde ?

De quoi sommes-nous le nom ? Quelle est notre mission dans l’histoire ? Quelle est notre vocation ? Aujourd’hui, il est plus simple pour un Chinois, pour un Saoudien, et même d’une certaine manière pour un Américain, de savoir quelle est la place que chacun occupe dans l’histoire, et le rôle qu’il faut y jouer. Nous, nous avons décidé avec beaucoup de détermination de déconstruire ce qui peut faire le sens même de l’existence de la civilisation que nous recevons en partage. Sur France Info, j’ai entendu un élève de Dominique Bernard témoigner sur le professeur qu’il était : « Il parlait comme un professeur de français en utilisant des mots que personne ne comprend ». Et il prenait pour exemple « aparté », qui lui paraissait un étrange reliquat obsolète d’une langue déjà disparue. La mort de Dominique Bernard est le symptôme de la faillite de l’école. On a laissé derrière nous des jeunes assez décérébrés pour adhérer à l’islamisme qui prospère aujourd’hui sur TikTok et dans les quartiers. Dans sa lettre à un djihadiste, Philippe Muray écrit : « Chevauchant vos éléphants de fer et de feu, vous êtes entrés avec fureur dans notre magasin de porcelaine. Mais c’est un magasin de porcelaine dont les propriétaires, de longue date, ont entrepris de réduire en miettes tout ce qui s’y trouvait entassé. (…) Vous êtes les premiers démolisseurs à s’attaquer à des destructeurs. »

Comment lutter contre cette « décivilisation » ?

La seule et l’unique et l’essentielle urgence pour l’avenir du pays, c’est l’école. Ce qui compte, c’est d’éduquer. Ce qui compte, c’est de professer. Ce qui compte, c’est d’avoir des professeurs. Et il y a urgence, car il s’agit sans doute du seul sujet sur lequel on puisse faire des erreurs irréversibles. Si demain on décidait de remettre un peu de sécurité, d’autorité, il y aurait des résistances, mais on saurait remettre des policiers dans la rue. Si on voulait retrouver un peu de rationalité budgétaire, ce serait difficile, mais on pourrait rétablir nos comptes publics. Tout cela peut se réparer. Mais quand on a cessé de transmettre pendant vingt, trente ou quarante ans, qui demain pourra enseigner le savoir qui n’a pas été transmis ?

Qu’est-ce qu’une bonne école alors ?

Une bonne école, c’est une école qui sait avoir pour seule et unique mission de transmettre – le savoir, la culture, la connaissance. Bien sûr, il faut se garder de toute idéalisation : l’expérience de la pédagogie n’est jamais une évidence ; elle suppose d’affronter la difficulté de la relation humaine que représente toujours le travail éducatif. Comme le disait Alain, la pédagogie est la science des professeurs chahutés. Il n’y a jamais de miracle. Mais le vrai problème aujourd’hui n’est pas la difficulté d’éduquer, ou qu’on n’y parvienne plus ; le problème, c’est qu’on ne veut plus éduquer, que les enseignants se sont vus privés de leur mission. Péguy expliquait déjà en 1907, dans Pour la rentrée, ce qui vaut pour toute situation semblable : « La crise de l’enseignement n’est pas une crise de l’enseignement ; il n’y a jamais eu de crise de l’enseignement ; les crises de l’enseignement sont des crises de vie. […] Quand une société ne peut pas enseigner, ce n’est point qu’elle manque accidentellement d’un appareil ou d’une industrie ; c’est que cette société ne peut pas s’enseigner ; c’est qu’elle a honte, c’est qu’elle a peur de s’enseigner elle-même. »

La seule et l’unique et l’essentielle urgence pour l’avenir du pays, c’est l’école. Ce qui compte, c’est d’éduquer. Ce qui compte, c’est de professer. Ce qui compte, c’est d’avoir des professeurs. Et il y a urgence, car il s’agit sans doute du seul sujet sur lequel on puisse faire des erreurs irréversibles.

Comment jugez-vous les premiers pas de Gabriel Attal ?

Interdire l’abaya ? C’était élémentaire. Je ne dis pas que ce n’était pas courageux, mais c’était la moindre des choses. Maintenant, le premier problème de l’école en France, ce n’est pas l’abaya. Il y a des gamins qui ont passé quinze ans sur les bancs de nos classes et qui finissent en brûlant des écoles. Voilà ce qui s’est passé lors des émeutes de juin dernier.

Un jeune français sur cinq, à 18 ans, ne sait pas lire le français. Nos élèves sont les derniers d’Europe en mathématiques. Nous avons le système scolaire le plus inégalitaire de tout l’OCDE. Est-ce que Gabriel Attal va changer cela ? S’il le fait, j’applaudirai des deux mains. Mais en attendant, comme professeur, il y a quelque chose qui me heurte dans sa nomination : qu’on puisse confier l’Education nationale, le sujet le plus décisif pour l’avenir du pays, à quelqu’un qui a priori n’en connaît rien, qui n’a jamais touché à l’enseignement de près ou de loin. Parce que Gabriel Attal avait envie de ce poste pour exister politiquement, dans un remaniement qui semble avoir été presque improvisé, on lui attribue en dernière minute le ministère le plus complexe et le plus essentiel – 1,2 millions de fonctionnaires, le premier budget de l’État, l’avenir du pays. Il y a là une désinvolture assez improbable.

Parmi les causes de l’assassinat de Dominique Bernard, vous citiez dans le Figaro, l’immigration incontrôlée. Mais pourquoi n’arrive-t-on pas à la contrôler ? N’est-ce pas parce que nous avons perdu le sens de ce qu’est une cité politique, le bien commun, et le rôle d’un État qui est là pour servir un peuple et une histoire donnés ?

La vie civique commence par la reconnaissance du caractère structurant du sentiment d’appartenance à une communauté politique. Même en cochant les cases de la bonne volonté, tous les gens qui aiment la France n’ont pas pour autant un droit opposable à notre nationalité ; c’est donc a fortiori encore plus vrai de ceux qui ne l’aiment pas. Au fond, la crise de l’école et la crise migratoire n’en sont qu’une : elles sont le révélateur d’un même vide intérieur. Parce que nous ne savons plus qui nous sommes, ni ce que signifie d’être une cité, parce que nous avons oublié que la culture est l’essentiel, nous avons sombré à la fois dans l’effondrement de l’école et dans l’immigration massive. Ces deux faillites procèdent de la même vision anthropologique. Qu’est-ce qui justifie aujourd’hui que Gérald Darmanin propose la régularisation des clandestins dans les métiers en tension ? C’est une vision de l’homme fondée sur sa réduction à l’homo oeconomicus, à l’animal laborans, à l’individu au rôle de rouage utile pour la machine économique, où tout ne serait qu’affaire de calcul. Dans cette perspective, le territoire d’un pays n’est plus en effet qu’un espace géométrique neutre dans lequel des atomes indifférenciés se déplacent comme des particules élémentaires…

Que faire de nos ennemis de l’intérieur, présents sur notre sol en nombre conséquent ?

Il y a, d’une part, la question des étrangers. Pour compliquée qu’elle soit, elle n’a rien d’insoluble. Il est stupéfiant de voir, trois jours après la mort de Dominique Bernard, le président de la République et le ministre de l’Intérieur se réveiller et proclamer soudain : « Il faut expulser avec fermeté les étrangers dangereux ». Pourquoi ne pas l’avoir fait avant ?

La question beaucoup plus difficile concerne ceux qui sont Français et qui participent pourtant à la menace islamiste. Il est impératif d’avoir enfin une vraie stratégie, dans deux directions simultanées. D’abord pour le contre-terrorisme : il serait révoltant de céder à la démission en disant, comme le président de la République il y a quelques jours, que le terrorisme ne peut pas être éradiqué. Ne pas se résigner, c’est se donner les moyens de mener dans la durée un travail déterminé pour améliorer notre capacité de renseignement et de protection. Nous sommes bien sûr capables de mener et de remporter ce combat contre le terrorisme islamiste, d’autant plus que nous parlons ici d’adversaires médiocres, dont les capacités sont rudimentaires. Et la seconde direction, c’est le travail qu’il faut mener pour gagner la bataille idéologique, pour gagner la bataille des cœurs.

Avec quels outils ?

La France n’est pas aimée, alors qu’elle a tout pour l’être. Ce n’est pas très difficile de susciter la passion de la France. Dans l’Education nationale, il suffit qu’on décide de transmettre à nouveau ce que nous avons à offrir, et nous trouverons de nouveau l’enthousiasme pour l’accueillir. Comme beaucoup de collègues, je peux témoigner de cela, sans aucune facilité. Souvenez-vous de l’instituteur de Camus, Monsieur Germain, qui faisait des Français dans son faubourg d’Alger avec ces gamins venus des quartiers les plus pauvres. Le miracle est toujours disponible. Ce sont des adultes, non des enfants, qui ont organisé la rupture de la transmission. Ce ne sont pas nos élèves, même issus de l’immigration, qui ont dit que la France était coupable de crime contre l’humanité. Ce ne sont pas non plus nos élèves qui ont dit qu’il n’y avait pas de culture française. C’est Emmanuel Macron qui a dit cela – et ses propos n’étaient que le symptôme d’une crise collective.

Au-delà de la reconstruction de l’école, nous devons donc retrouver une stratégie pour la bataille culturelle. Sur les réseaux sociaux, il faut apporter un contre-discours, développer notre narratif. Qu’est-ce que la France fait pour que sur TikTok, on aille combattre les discours qui salissent le pays ? Comment y participe notre production audiovisuelle, nos séries ? Aujourd’hui, c’est Netflix qui invente les représentations du monde ; que faisons-nous pour ne pas laisser le monopole de l’imaginaire à une industrie américaine obsédée par la déconstruction de notre héritage ? Cela peut paraître dérisoire, mais je me suis battu au Parlement européen pour interdire les télécommandes qui renvoyaient directement à Netflix, et j’ai obtenu cette interdiction. Rien n’est anecdotique quand il s’agit de sortir du circuit fermé que cette production culturelle voudrait nous imposer. Mais il nous faut maintenant construire une alternative.

Comment sortir du paradoxe d’un état de droit qui nous enchaîne plutôt qu’il ne nous protège ?

En réalité, aujourd’hui, ce que beaucoup appellent l’état de droit est devenu l’état de non-droit. Reprenez le cas de la famille Mogouchkov. Déboutés deux fois du droit d’asile, ils sont toujours sur le sol français parce qu’une obscure circulaire empêche leur expulsion. Le débat sur l’état de droit opposait habituellement la loi à la puissance publique, montrait les tensions possibles entre le droit et la démocratie, entre le droit et l’État. Mais aujourd’hui, il me semble qu’il y a un combat entre le droit et le droit. La lettre et l’esprit de la loi sont désactivés par une montagne de complexité réglementaire et administrative ; la jurisprudence annule les principes fondamentaux du droit. Je ne suis pas pour l’Etat contre le droit ; je suis pour que force revienne enfin à la loi.

Pour retrouver l’état de droit, encore faut-il que les juges acceptent que la loi doit s’imposer. Le fait que le Syndicat de la magistrature organise une rencontre à la Fête de l’Huma sur les « violences policières », ou participe à des manifestations d’extrême gauche contre la police, devrait être pour nous un sujet majeur. Ce syndicat, qui représente un tiers des magistrats, a fondé sa philosophie sur la harangue de Baudot, qui intime aux juges de ne pas être neutres : « La loi dira ce que vous voulez qu’elle dise. Soyez partiaux, pour le voleur contre la police, pour le plaideur contre la justice ».

En introduction de votre livre, vous avez un passage très éclairant sur le pardon, la liberté qu’il confère. Est-ce qu’on ne pourrait pas expliquer en partie le wokisme par l’oubli de cette belle vertu du pardon, parc que le wokisme, c’est considérer le passé de l’Occident comme un crime inexpiable : pour l’Occident, la seule manière de l’expier serait de disparaître, en l’absence de pardon.
Les gens qui se revendiquent le plus du wokisme sont ceux qui auraient le moins de raison d’exiger un pardon quelconque. On n’a jamais été aussi peu victimes et on ne s’est jamais autant sentis en permanence persécutés ; c’est quand même fascinant. Ce sont des gamins qui ont tout reçu, qui ont grandi dans la génération la plus gâtée de l’histoire, et qui se sentent victimes de tout.
Mais ils se sentent victimes aussi par procuration, c’est-à-dire que le bourgeois du XVIᵉ demande à l’Occident d’expier l’esclavage des Noirs aux États-Unis.

Mais ce n’est pas tellement lui qui aurait des raisons d’exiger un pardon, c’est le paradoxe de l’histoire. Ce qui est sûr, c’est que le pardon est un scandale. Comme l’espérance d’ailleurs, le pardon est lui aussi un scandale pour la raison. Il n’y a de pardon que pour ce qui est impardonnable, comme l’espérance n’a son lieu que là où il n’y a pas de raison d’espérer. Si on pardonne ce qui a des raisons d’être pardonné, alors on pardonne ce qui est excusable, et du coup ce n’est pas un pardon. Si j’arrive en retard et que j’ai une bonne excuse, parce que mon train a été annulé par exemple, vous ne faites pas un grand acte de générosité en excusant ce qui est excusable. Mais quand on voit le visage du mal dans les crimes commis contre des Israéliens le 7 octobre, contre des civils, des femmes, des enfants, on ne peut que se demander : « Mais comment un pardon est possible pour cela ? ». C’est là, devant l’inexcusable absolu, que le pardon est évidemment un scandale ; mais c’est sans doute là qu’on peut le mieux voir ce qu’il constitue.

Sur le wokisme, comment expliquez-vous que cette idéologie assez récente et assez minoritaire ait réussi à structurer le débat public à ce point ? Et comment est-ce qu’on en sort ?

Un tel discours n’est possible que sur l’effondrement de la raison. Mais le wokisme a-t-il réellement triomphé aujourd’hui dans le paysage français ? Si dans notre pays la culture commune, la transmission à l’école, l’autorité de l’État, la protection de nos principes les plus fondamentaux, si tout ça n’était menacé que par des gens qui sont vraiment wokistes, honnêtement, tout irait très bien. Jean-Michel Blanquer n’était pas du tout woke, mais il a fait la réforme du bac.

Justement, dans le contexte de la faillite de l’école, est-ce que Netflix n’a pas beaucoup plus de pouvoir sur la structuration des jeunes esprits que l’Éducation nationale ?

Les écrans ont pris le pouvoir, mais ceux qui ont donné le pouvoir aux écrans, y compris dans l’école, ne sont pas eux-mêmes “wokistes”, au sens habituel du terme. Et si, au contraire, l’école assumait d’être ce qu’elle doit être, c’est-à-dire si un ministre de l’Éducation nationale arrivait demain en disant : « À l’école, ce qui doit régner, ce n’est pas l’écran, c’est le livre ; donc plus d’écran, plus de téléphone dans l’école. Notre travail à nous, c’est de vous apprendre à grandir sans écran. Et non seulement on va bannir les écrans des écoles, mais on va travailler avec les parents pour arrêter cette folie qui consiste à mettre un iPhone dans les mains d’un gamin de dix ans. » Si on faisait ce travail-là, on ferait reculer les vecteurs du wokisme. Les gens qui lui offrent tout cet espace, toute cette place, les dirigeants qui ont fini par fragiliser en profondeur le travail de la transmission, n’étaient pas eux- mêmes wokistes. Il y a une forme de lâcheté, de déni, d’abandon, parfois de cynisme, de complaisance avec la déconstruction, qui ne vient pas directement de ce courant de pensée. Le problème, c’est cette haine de soi dont le wokisme n’est qu’une manifestation singulière. L’école a été détruite de l’intérieur, pas depuis que le wokisme existe, mais depuis maintenant des décennies. Le wokisme est une forme d’accouchement monstrueux de la déconstruction qui dure depuis bien longtemps.

Dans votre livre, vous expliquez qu’aujourd’hui, les gens n’arrivent plus à comprendre que la violence fait partie de l’existence. Et, paradoxe, cette violence, pour autant, elle est partout, y compris dans la vie politique qui est de plus en plus hystérisée. Comment lutter justement contre cette hystérisation de la vie politique ?

Je crois qu’il y a une manière de pratiquer l’exercice politique qui correspond à cet objectif. Si on s’inquiète de la décivilisation, de l’ensauvagement, alors il faut peut-être commencer par s’imposer à soi-même une exigence de civilité. Ce n’est pas seulement dans le discours, mais aussi dans la méthode qu’on doit être à la hauteur de ce qu’on prétend avoir à défendre. Cela ne veut pas dire qu’il faille oublier la violence à laquelle la politique sera toujours confrontée. Il est nécessaire de sortir du déni constant aujourd’hui sur ce sujet : juste après l’attentat d’Arras, Brigitte Macron promet « des cours de bienveillance »… Et le président remercie tout le monde, les policiers, les pompiers, les soignants, le chauffeur de l’ambulance, comme si on était à une cérémonie des Césars. Il faut bien sûr dire notre reconnaissance à tous ceux qui sont en première ligne ; mais se contenter de remerciements après un attentat, c’est faire comme si tout était normal, comme si rien n’avait raté… Cela contribue à faire croire que ce genre d’attentat, ça arrivera quand ça arrive – le rôle des politiques étant alors seulement de faire en sorte que l’hôpital du coin arrive assez vite pour faire un garrot… Oui, la mission essentielle de la politique, c’est de faire reculer la violence ; et pour cela, elle doit combattre par les moyens de la force publique. Ultima ratio regum : cette force est le dernier argument du prince. A la fin, la politique est inéluctablement une rencontre avec la violence. C’est l’un des grands impensés du monde contemporain.

Vous n’ignorez pas que souvent, les gens disent « Bellamy, il est formidable, il élève le débat, mais il est trop poli, il faudrait qu’il apprenne à renverser la table ». Est-ce que justement, cette pratique bienveillante et polie de la politique que vous essayez d’avoir ne minore pas sa dimension violente ? Est-ce qu’elle n’est pas un peu ingénue ?

Je crois vraiment que dans un monde de brutalisation, d’ensauvagement, qu’on l’appelle comme on voudra, il importe de ne pas se laisser gagner par ce qu’on combat ; vouloir défendre une idée de la civilisation implique de renoncer à la brutalité dans l’exercice même de la vie publique. Non, ce n’est pas être tiède que de croire à la possibilité d’une vie civique qui soit civile, authentiquement civilisée. Et s’imposer cette exigence même quand tout semble consacrer la victoire de l’excès, de la caricature, du faux, c’est le seul choix qui soit assez courageux pour aller vraiment à contre-courant, et la seule manière de parvenir à la fin à « renverser la table » pour de bon. J’espère d’ailleurs que ceux qui me disent trop poli dans mon expression reconnaîtront que cela ne m’a jamais empêché d’être clair dans mes convictions. Il y a des fermetés paisibles et des incohérences bruyantes… On peut chercher à être sensé sans vouloir être consensuel. Je crois à la nécessité du clivage, et j’ai toujours assumé mes engagements ; peut-être à la différence d’autres, qui même chez ceux qui prétendent incarner une forme de radicalité, sont souvent prompts à changer de cap au gré des derniers calculs tactiques. Pour ma part, je pense qu’on peut être efficace sans être opportuniste, et courageux sans être outrancier.

Mais comment être plus efficace tout en restant soi-même ?

D’abord, la politique trouve sa noblesse dans le fait de chercher autre chose que la seule efficacité électorale. Ça ne veut pas dire qu’il ne faille pas chercher des succès électoraux, mais il ne faut pas se renier au motif que le succès serait un but absolu, à tout prix. Je ne suis pas une machine à éléments de langage, et je ne le deviendrai pas. L’efficacité électorale doit être au service d’une vision politique, pas l’inverse. Si je dois mener cette campagne européenne pour les Républicains, mon but sera de revenir au Parlement européen plus nombreux et plus forts pour peser dans les choix essentiels qui s’annoncent. La campagne sera l’occasion de démontrer, avec le bilan de ces cinq ans de mandat, que nous savons comment mener des batailles, et comment les gagner. Je crois avoir démontré au cours des dernières années la pertinence de ce choix, qui n’est pas évident, de rentrer dans le cœur du travail des institutions. C’est la ligne de crête sur laquelle il faut avancer. Beaucoup de gens me disent « Qu’est-ce que vous faites chez LR ? Qu’est-ce que vous faites au Parlement européen ? » Je suis précisément là où je crois que nous devrions tous pouvoir nous sentir représentés. Il n’y a pas de raison de déserter la formation politique qui est supposée représenter nos idées. Il n’y a pas de raison de déserter les institutions où nous devons pouvoir exister. Il n’y a pas de raison d’abandonner le terrain à ceux qui représentent le contraire de nos aspirations. J’espère avoir fait la démonstration que c’était non seulement un pari possible, mais même un pari qui réussit.

Parce que c’est en allant à l’intérieur de ce travail, sans renoncer à rien, qu’on peut réussir à faire avancer les choses. Je pourrais citer beaucoup d’exemples, comme la réforme du marché de l’énergie pour sortir du délire européen qui a fragilisé le nucléaire français : nous allons aboutir à une réforme qui rendra à la France la possibilité de fixer des prix de l’électricité à partir de ses coûts de production, donc de rendre aux Français des factures d’électricité qui ne varieront pas avec le prix du gaz – donc de réindustrialiser le pays, et de lui rendre sa souveraineté. Sur la question de la protection du marché européen avec la barrière écologique qu’on avait promise ; sur l’interdiction de la GPA qui, dans quelques semaines peut-être, sera une réalité en Europe grâce à l’amendement que j’ai déposé ; sur la lutte contre l’entrisme islamiste, en ayant interdit à la Commission européenne de financer les campagnes qui disent que « la joie est dans le hijab »… Évidemment il y a un côté désespérant à être continuellement aux prises avec tout ce qui dysfonctionne, avec tout ce qui contredit nos efforts. Mais avec de l’endurance, du courage, de l’audace, on peut gagner ces batailles.

Mais le paradoxe, c’est que vous êtes dans le lieu de la technocratie tout en étant la quintessence de l’homme politique qui procède plus par vision que par détails techniques. Est-ce qu’il y a un grand écart entre les soirées de la philo et la négociation sur la pêche ?

Un équilibre plus qu’un écart ! J’ai la chance d’avoir la respiration des Soirées de la philo pour garder le contact avec les textes, avec les auteurs. C’est aussi une manière de garder le sens de l’action quotidienne. La vie politique touche aussi au plus fondamental – à une vision de la personne, de la dignité humaine. Si dans quelques semaines, la GPA est considérée dans toute l’Union européenne comme relevant de la traite d’êtres humains et à ce titre interdite, je me dirais que j’aurai eu le privilège de rendre concrets les principes essentiels que nous défendons. Ça ne fait pas tout bien sûr ; ce n’est pas encore la grande refondation que nous espérons pour l’avenir. Mais malgré tout, ne serait-ce que poser des digues, qui permettent de faire la preuve qu’il n’y a pas un sens de l’histoire écrit d’avance, que nous ne sommes pas condamnés à subir l’inéluctable recul des principes qui nous tiennent et auxquels nous tenons, ce n’est pas rien non plus. Et cela, je le dis sans aucun esprit polémique, est directement lié à ce pari de rentrer dans la mêlée, au cœur du travail politique. Moi aussi, je pourrais faire de la politique avec la colère, parce qu’on ne manque pas de colères, et elles sont bien souvent légitimes. Mais que produisent-elles à la fin ?

Je sais que je suis sur une ligne de crête, mais ce qu’on peut apporter à un monde devenu vide, c’est la proposition qu’il attend. Parce que j’ai passé mon temps à râler sur le fait que notre groupe parlementaire ne parlait pas assez de vision et d’idées, notre président de groupe à Strasbourg m’a demandé d’écrire notre nouvelle charte commune : quelle doit être l’identité politique de la droite en Europe aujourd’hui ? J’y ai travaillé avec dix collègues, on a écrit un texte, discuté avec tous les parlementaires du groupe, et finalement adopté… Nous nous plaignons souvent de ne pas être entendus, mais sommes-nous assez capables de parler, de proposer ?

Comment expliquez-vous que ce qui a opéré pour diaboliser l’extrême droite il y a 30 ans n’opère pas du tout avec la France insoumise ?

Si, ça opère. L’Assemblée nationale a rédigé un texte pour exclure les députés de la France insoumise d’une délégation qui part en Israël bientôt. Thomas Portes, le député insoumis qui avait posé avec le pied posé sur un ballon où figurait la photo d’un ministre, a été sanctionné par le bureau de l’Assemblée nationale alors que théoriquement, le bureau de l’Assemblée n’a pas le droit de sanctionner quelqu’un pour ce qui se passe en dehors de l’Assemblée. Au Parlement européen, on avait un texte sur Israël, il y avait des amendements qui venaient de tous les groupes, déposés, par exemple, par le groupe ID auquel appartient le RN et des amendements qui étaient déposés par le groupe The Left auquel appartient LFI. La doctrine de notre groupe, c’est de ne pas pratiquer le cordon sanitaire : s’il y a un amendement du RN qui est bon, on vote pour, ça ne nous pose aucun problème. On a donc voté des amendements d’ID, comme on le fait d’habitude. En revanche, pour la première fois depuis le début du mandat, le groupe a décidé par principe de ne voter aucun amendement venant de l’extrême gauche.

En tout cas, Yael Braun-Pivet s’est porté partie civile pour l’Assemblée contre les propos du député RN Grégoire de Fournas : « que ce bateau retourne en Afrique »… Et on ne l’a pas vue demander une action administrative, même de l’Assemblée, pour sanctionner Danièle Obono après qu’elle a qualifié le Hamas de mouvement de résistance…

Moi, je ne le voudrais pas. On a suffisamment dénoncé la judiciarisation des désaccords pour ne pas tomber à notre tour dans cette impasse. On ne doit pas répondre à une idéologie par une autre idéologie, mais par l’exigence de la vérité, la rigueur intellectuelle, l’intelligence dans le combat culturel. Mais ce combat, nous avons les moyens de le mener avec des arguments, des idées, des faits. Je suis révolté quand Mme Obono dit que le Hamas est un mouvement de résistance, je suis prêt à affronter ce délire autant qu’il le faudra sur le terrain politique, mais je ne demanderai pas aux tribunaux d’assumer ce combat politique à ma place.

Est-ce que cette complaisance de LFI pour le terrorisme, pour les émeutiers, n’illustre pas parfaitement ce que vous dites dans votre chapitre sur le progrès : finalement, pour les gens qui croient au progrès, peu importent violences et destructions du moment que ça fait avancer l’humanité ?

C’est ce que veut dire aussi l’expression de « résistance » : la cause est grande, et c’est juste dommage pour les victimes collatérales. Je me suis beaucoup battu contre nos collègues de LFI qui refusent de parler de terrorisme, mais qui parlent de « crimes de guerre ». Mais crime de guerre, ça veut dire quoi ? Ça veut dire que le Hamas est une armée régulière qui a des objectifs militaires et qui fait, en passant, des victimes collatérales. Mais pire encore que l’idée hégélienne qui voudrait que « tant pis pour les petites fleurs innocentes sur le chemin des grands hommes », il y a la stratégie mélenchonienne : « tout pour arriver au pouvoir », y compris les calculs les plus clientélistes. Qu’est-ce qui est moralement le plus grave ? Est-ce d’être convaincu que le mal est nécessaire ou est-ce de pactiser avec lui par intérêt électoral ? Dans tous les cas, c’est terrifiant.

Dans votre livre vous dites qu’il n’y a pas de progrès en soi, qu’on ne peut juger qu’une chose est un progrès que par rapport au but que l’on s’est fixé. Or l’euthanasie et la GPA, qui nous paraissent d’épouvantables régressions, correspondent pour une partie de nos contemporains, exactement au sens de l’existence qu’ils se sont fixés, c’est-à-dire être de plus en plus maîtres de leur existence. Est-ce qu’aujourd’hui, il n’y a pas sur ces questions-là un affrontement entre deux visions du monde et de la vie, deux anthropologies totalement irréconciliables ?

On pourrait faire une autre hypothèse : c’est qu’en réalité, on trouve dans ces faux progrès de mauvaises réponses à des aspirations légitimes. Être maître de sa vie, par exemple, ne pas subir indéfiniment une souffrance superflue, ce sont des aspirations légitimes. La réponse politique que la société apporte à ces demandes pourrait passer par un surcroît de solidarité, de soins accordés aux plus vulnérables. En réalité, l’euthanasie, c’est pour les politiques la réponse de la paresse.
Dans tous les cas, l’euthanasie est une expérience de dépendance ! Si on demande l’euthanasie, c’est que par définition, on reçoit de l’autre la mort. La vraie question est donc : « Veut-on recevoir de l’autre le soin, ou recevoir de l’autre la mort ? » Une société qui ne sait pas promettre le soin ne peut que proposer la mort. La question que vous posez est importante, et elle n’est pas dépourvue d’incidence concrète dans la discussion politique, parce que le sujet est sans doute aussi de réussir à formuler ce qu’on veut dire. C’est la grande question de Saint-Exupéry : que faut-il dire aux hommes ? Ne devons-nous pas formuler ce que nous voulons promettre à nos contemporains dans le langage de leurs aspirations légitimes, pour montrer que la vraie réponse ne se trouve pas là où on la leur propose aujourd’hui ?

En fait la politique est d’autant plus un dialogue de sourds qu’on s’interdit de poser la question du sens.

C’est la grande question du débat entre Platon et Aristote. Platon regarde la cité comme une masse irrationnelle, la foule étant nécessairement gouvernée par les passions, l’instinct, l’archaïsme de la pulsion. Et il faudrait que cette foule folle soit gouvernée par la petite élite de sages qui savent mieux que les fous quel est leur bien ; il faudrait donc réussir à contrer la folie du peuple pour imposer à sa tête la sagesse du petit nombre. Aristote pense, lui, et je ne serais pas loin d’être aristotélicien sur ce point, que l’esprit humain est tourné vers le vrai comme le tournesol vers le soleil et que, si le grand nombre pense quelque chose, il y a de grandes chances que le grand nombre ait raison – dans certaines conditions, et la condition absolue, c’est notamment l’éducation. Dans ces conditions, le peuple partage ce que l’on peut appeler le bon sens, ou le sens commun. Et quand on pense avoir raison seul contre tous, dit Aristote, il faut toujours commencer par s’inquiéter de soi-même, parce qu’il est rare d’avoir vu tout seul une vérité que personne n’aurait perçue. Donc, le sujet est plutôt de réussir à montrer comment ce que nous avons à offrir correspond aux aspirations du plus grand nombre, plutôt que de dire au plus grand nombre que ses aspirations sont mauvaises.

Vous parliez des batailles qu’on peut gagner de manière inattendue.. En fait, pour vous, le plus grand ennemi, c’est la résignation ?

Il y a une grande lâcheté, en tous les cas, dans la résignation. Bernanos fustige les optimistes, ce qui m’a toujours plu parce que je suis allergique à l’optimisme béat ; mais il fustige aussi les pessimistes. Le vote macroniste, aux dernières élections, réunissait des électeurs qui se disaient optimistes. Pour nous, nous avons peut-être par contraste une tendance au pessimisme. Or, le pessimisme est aussi une manière de se défaire de sa responsabilité. Parce que si nous concluons toutes nos conversations par le fait que de toute façon, tout va finir par s’effondrer, alors pourquoi agir ? On vit sans doute une des périodes les plus critiques de l’histoire de notre pays, au sens étymologique de la crise, qui veut dire la croisée des chemins. C’est de ce que nous déciderons dans les années qui viendront que dépendra l’avenir à long terme de la France, et sa survie même. Si nous regardons l’histoire de notre pays, de notre civilisation, nous verrons qu’ils ont survécu à des moments plus sombres que ceux que l’on traverse aujourd’hui, par des actes d’espérance, qui ont toujours été des sursauts suscités par le courage de quelques-uns.

On vit sans doute une des périodes les plus critiques de l’histoire de notre pays, au sens étymologique de la crise, qui veut dire la croisée des chemins. C’est de ce que nous déciderons dans les années qui viendront que dépendra l’avenir à long terme de la France, et sa survie même.

Certes, mais là, on a vraiment l’impression de vivre quelque chose d’unique et de sans précédent, c’est-à-dire que d’être dans un monde qui ne sait plus du tout quels sont ses fondements et qui ne croit plus à rien. Certes, l’espérance est un exercice de la volonté, mais si la volonté ne trouve pas des raisons concrètes sur lesquelles s’appuyer, elle risque de s’épuiser…

Mais une fois qu’on fait cet acte d’espérance, les raisons apparaissent sous nos yeux. Depuis le début du mandat, je vais un peu partout dans le pays, une ou deux fois par semaine, et j’y rencontre partout des Français exceptionnels. Il y a dans ce pays, quels que soient leur profession, leur milieu social, leur horizon, chez ceux qui travaillent, qui font que la France tient debout, qui restent encore fidèles malgré toutes les difficultés, un potentiel magnifique qui n’attend que d’être enfin libéré.

Une autre raison d’espérer, c’est ce qui se passe sur le terrain des idées. Oui, la gauche garde de grands bastions culturels. Oui, les multinationales du numérique diffusent une vision du monde qui contribue à la déconstruction. Mais aujourd’hui, le débat est quand même bien plus ouvert qu’il ne l’a été dans le passé. La discussion reste bien plus libre en France que dans d’autres régions du monde. Et sur le terrain médiatique, votre travail, je le dis sans facilité, est aussi une raison d’y croire encore. Sans rien occulter de ce que nous avons dit de la gravité de la situation, il y a des expériences auxquelles accrocher notre espérance – celle que j’ai vécue il y a quelques jours à l’occasion des dix ans des Soirées de la Philo : devant 2 000 personnes, dont énormément de jeunes, venues écouter du Plotin sur la scène de l’Olympia, on ne peut que se dire : « Ce n’est pas complètement mort ». Rien n’est gagné d’avance, bien sûr ; mais au fil des rencontres que je vis partout en France, je vois dans bien des regards assez d’énergie, d’intelligence et de volonté pour mener les combats qui viendront. Marc Aurèle écrit, dans Les pensées pour moi-même : « Les batailles que je n’ai pas livrées, je me console trop facilement dans la certitude qu’elles étaient perdues d’avance. »


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Peut-on changer l’UE de l’intérieur ?

Extrait d’un entretien paru dans  le magazine La Nef en septembre 2023.

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Être député européen a-t-il changé votre vision de l’Europe ?

J’ai évidemment beaucoup appris, mais je ne crois pas avoir changé radicalement de perspective. Je continue de penser que l’Union européenne est aujourd’hui le synonyme d’une forme de dépossession pour les citoyens des pays européens, dépossession de leur capacité à maîtriser leur destin. Et je crois qu’elle devrait au contraire trouver tout son sens dans le fait de les rendre plus libres et plus maîtres de leur avenir. Pour y parvenir, il faut qu’elle connaisse une remise en cause extrêmement profonde.

Justement, fort de cette expérience de député, pensez-vous qu’un homme politique puisse changer les choses de l’intérieur dans le cadre de l’Union européenne ?

Oui : je n’ai pas le sentiment d’avoir passé mon mandat, comme beaucoup de mes collègues d’autres groupes politiques, à consentir ou à commenter ; ce qui rend le mandat au Parlement européen intéressant, c’est qu’avec du travail et la patience qu’il faut pour construire des alliances, il est possible d’agir. Nous avons mené, et parfois gagné, des batailles majeures. Sur l’énergie nucléaire par exemple : nous avons empêché l’asphyxie de la filière nucléaire française par les règlements sur la taxonomie, et je crois pouvoir dire que j’y ai contribué de façon très directe, quand bien même tout le monde me promettait une défaite. On a parfois le sentiment d’assister, impuissants, à la déconstruction de la civilisation sur laquelle l’Europe est pourtant fondée : là aussi, nous avons réussi à mettre des crans d’arrêt importants. Je pense à l’amendement que j’ai déposé – il aura fallu s’y reprendre à plusieurs reprises, c’est toujours dans la durée qu’on gagne les combats – pour interdire à la Commission européenne de financer des campagnes faisant la promotion du hijab. Au-delà du combat contre cette dérive très concrète, cette victoire a permis de renverser une tendance : beaucoup m’ont partagé que, dans les cabinets des commissaires européens, une vigilance est désormais de mise sur le choix de leurs interlocuteurs, de leurs partenariats et leurs engagements. Tant mieux si nous avons pu faire que l’inquiétude change de camp !

Je n’ai pas le sentiment d’avoir passé mon mandat, comme beaucoup de mes collègues d’autres groupes politiques, à consentir ou à commenter ; ce qui rend le mandat au Parlement européen intéressant, c’est qu’avec du travail et la patience qu’il faut pour construire des alliances, il est possible d’agir.

Ces sujets sont essentiels, mais il faudra évidemment des ruptures beaucoup plus profondes pour changer significativement l’Union européenne. Et c’est une grande difficulté de l’engagement politique dans notre monde : on a parfois l’impression que nos victoires consistent surtout à éviter le pire, à ralentir la crise. On mène des combats de retardement, on essaie de combler des brèches et d’empêcher que le bateau ne coule trop vite. Ce n’est pas sans importance, bien sûr ; mais pour changer profondément de direction, il faudra plus que le travail parlementaire quotidien.

Que faudra-t-il alors, concrètement ? Qu’est-ce qui pourrait être réalisé pour changer cette Union européenne ?

Je crois que nous aurons d’abord besoin d’une véritable alternative politique en France. Car l’Union européenne est surtout conduite par les États-membres. Le Parlement européen n’est pas à l’initiative. C’est d’ailleurs le caractère un peu éprouvant de cette expérience : on reçoit des textes qui nous viennent déjà écrits par la Commission et dont les États membres ont eu l’initiative. Quand les Français se plaignent de l’Europe, ils doivent se souvenir qu’ils se plaignent d’abord de l’Europe que construit le gouvernement français. Et donc si nous rebâtissons une véritable alternative politique pour notre pays, nous pourrons faire en sorte que les choses changent structurellement au niveau européen.

Vous parliez tout à l’heure de l’importance pour un député de pouvoir agir et pas simplement consentir ou commenter. À cet égard, est-il important qu’il y ait une délégation française au PPE – et donc très concrètement des parlementaires LR au Parlement européen ?

Je crois que c’est fondamental, même si les Français ne sont pas forcément conscients de ces enjeux. Les Républicains appartiennent au PPE, qui est la première formation politique européenne. Il y a donc une équation électorale qui rend le vote LR spécialement utile, même si cela ne saurait suffire à fonder un vote.

Le débat européen a complètement ignoré la fin des clivages rêvée par Emmanuel Macron ; il est toujours structuré autour d’un clivage gauche-droite qui va se renforçant. Tendance par exemple accrue par l’actuel rapprochement du PPE avec les forces conservatrices, par exemple avec le parti Fratelli d’Italia de Giorgia Meloni, avec lequel il discute aujourd’hui pour construire un vrai pôle politique qui puisse demain être majoritaire au niveau européen. Il est absolument clé que la France puisse être représentée dans ce qui est, dans ce qui va être le lieu de l’action politique la plus efficace et la plus influente. Et, par contraste, force est de constater que nos collègues du Rassemblement national par exemple, dans la mécanique des votes internes au Parlement, qui est aussi le résultat de leurs propres choix politiques, n’ont pas fait adopter un seul amendement en cinq ans, ni un seul texte. Ils n’ont pas gagné une seule bataille dans l’enceinte du Parlement européen.

Les Républicains appartiennent au PPE, qui est la première formation politique européenne. Il y a donc une équation électorale qui rend le vote LR spécialement utile, même si cela ne saurait suffire à fonder un vote.

Mais encore une fois, on ne peut pas demander aux électeurs de raisonner avec des calculs d’efficacité. Car je ne crois pas qu’une majorité d’entre eux se déterminera en se disant, comme Machiavel : où est le plus grand effet de levier possible ? De plus, c’est à nous de leur présenter une ligne politique claire à laquelle adhérer, à nous de faire en sorte qu’ils soient convaincus, pour pouvoir être représentés là où cela compte vraiment de l’être.

[…]

Lire l’entretien complet.

À propos d’un débat annulé

En juillet dernier, M. Thierry Mariani, député européen du Rassemblement national, a vivement attaqué notre délégation à propos d’une résolution du Parlement européen sur le Liban. Il accusait Les Républicains d’avoir voté en faveur d’un texte qui imposait au peuple libanais de subir encore longtemps la crise causée par la présence sur son sol de millions de réfugiés syriens. J’ai répondu à cette accusation en montrant qu’elle était fausse, et plus grave encore, que nous avions travaillé pendant plusieurs semaines pour éviter précisément ce que M. Mariani avait laissé faire en brillant, comme de coutume, par son absence dans les batailles parlementaires concrètes où se décide l’orientation des textes.

Suite à cette polémique, le média Livre Noir nous a proposé de débattre ensemble en public au cours d’un événement organisé ce soir, 30 septembre, au Cirque d’hiver. J’ai immédiatement accepté, et M. Mariani en a fait de même. J’attendais ce débat avec beaucoup d’intérêt ; mais à ma grande surprise, il y a quelques jours, les organisateurs de l’événement m’ont contacté pour m’informer d’un changement : M. Mariani était toujours d’accord pour débattre, mais à condition qu’il ne soit pas question du Liban, ni par ailleurs de l’Arménie ou de l’Azerbaïdjan… Pour ma part, j’ai répondu que la seule condition de mon côté était qu’il n’y ait pas de condition ; que je voulais bien que toutes les questions soient abordées, même celles qui pourraient sembler difficiles ou dérangeantes ; mais qu’il était absolument impossible d’accepter par principe que le crime terrible que subit le peuple arménien soit ignoré une fois de plus, ou qu’on évite de parler de la crise du Liban, au motif que M. Mariani serait trop lâche pour assumer ses mensonges, ses silences, ou ses amitiés.

Incroyable mais vrai : M. Mariani a préféré se défiler quand il a su qu’il ne lui serait pas possible de fuir ces questions. Malgré cela, j’ai indiqué que je maintiendrais ma participation si un membre du RN assumait de le remplacer : apparemment il ne s’en est trouvé aucun qui ait assez de courage pour cela. Ce débat n’aura donc pas lieu.
Je prends le temps de vous raconter cette histoire, pour deux raisons : d’abord pour dire à ceux qui participeront à cet événement que je suis désolé de cette annulation bien involontaire ; il est important de tenir ses engagements, et il me semblait donc nécessaire de vous rendre compte, comme les organisateurs le feront j’espère, de la cause pour laquelle ce rendez-vous ne sera pas honoré.

Chers amis qui cherchez une droite enfin claire, intègre et loyale, exigez toujours d’aller au-delà des apparences.

La seconde raison est plus importante : cet épisode qui pourrait paraître anecdotique est en réalité tellement révélateur… Je sais bien que le parti auquel j’appartiens traîne avec lui la défiance accumulée par les déceptions qui ont marqué sa longue histoire ; et je vois combien certains jouent de cette colère accumulée depuis longtemps. Mais chez bien des élus qui se battent aujourd’hui à nos côtés, je vois plus de droiture, de courage, de volonté de servir, que dans la médiocrité si symptomatique que cette histoire manifeste, parmi tant d’autres épisodes. Chers amis qui cherchez une droite enfin claire, intègre et loyale, exigez toujours d’aller au-delà des apparences. Soyez conscients que les vitrines les plus attirantes peuvent cacher les cuisines les plus inavouables ; que ceux qui, par exemple, revendiquent bruyamment de sauver les chrétiens d’orient, sont capables de demander en ce moment qu’on passe sous silence l’Arménie et le Liban… Et si le RN vous séduit avec la promesse du renouveau, rappelez-vous qu’il donne vos voix à des élus qui n’assument rien, ni leurs choix, ni leur bilan, ni leurs soutiens, ni leurs mensonges.

Grand débat avec Alain Finkielkraut

Débat avec Alain Finkielkraut pour Le Figaro Magazine. Propos recueillis par Alexandre Devecchio et Pierre-Alexis Michau

Vous partagez le même diagnostic concernant la crise de l’école et plus largement concernant la faillite de la transmission. Tous deux, vous tentez de réhabiliter la notion d’héritage en opposition notamment aux thèses de Pierre Bourdieu…

Alain Finkielkraut – Le livre de Bourdieu et Passeron Les Héritiers, publié en 1964, a eu un retentissement énorme, et une influence qui se fait encore sentir sur l’institution scolaire, à travers les réformes qui y sont menées sans trêve depuis bientôt cinquante ans. Le titre lui-même a porté un coup terrible aux idéaux républicains. La République avait imaginé de répondre à la cooptation bourgeoise par la sélection des meilleurs, fondée sur l’égalité des chances. Or, Bourdieu est venu dire que cette égalité des chances est en vérité un leurre, le faux-nez de la hiérarchie sociale. Il affirme, statistiques à l’appui, que cette opposition entre mérite et héritage est mensongère et qu’elle permet aux dominants de légitimer leur domination par le biais des inégalités scolaires. Selon lui, ce sont les mieux lotis, les bien-nés qui réussissent à l’école ; et ceux qui viennent des milieux les plus défavorisés sont conduits à penser qu’ils ne peuvent s’en prendre qu’à eux-mêmes de leur destin social, car ils n’obtiennent pas de bonnes notes.

Le mot de « sélection » est dès lors devenu absolument interdit :

Bourdieu, avec cette réflexion, a traumatisé l’institution scolaire. Celle-ci, pour répondre à sa critique, a voulu bannir le processus de sélection, au moins dans l’enseignement secondaire. Le mot de « sélection » est dès lors devenu absolument interdit. Mais comme on a abandonné toute sélection, on a fini par accueillir des élèves plus faibles dans des classes plus avancées, et on a donc dû réviser les exigences à la baisse afin de s’adapter à ces jeunes. Cela explique l’effondrement de l’École que l’on connaît depuis des années. Et parce qu’on a appliqué les thèses de Bourdieu, ce sont justement les élèves des milieux les plus aisés qui parviennent à s’en sortir, car ils ont les moyens de pallier la chute du niveau scolaire qu’il a provoquée, en allant dans le privé, dans des lycées d’excellence, ou en bénéficiant du soutien scolaire. Ce livre a donc déclenché une véritable catastrophe, et mis en place le processus même qu’il prétendait critiquer. Bourdieu semblait penser que les héritiers, les enfants de la bourgeoisie, n’avaient besoin de fournir aucun effort, qu’ils trouvaient leur diplôme dans le berceau, ce qui est complètement absurde. Quelle que soit notre famille, si on veut entrer à l’ENS ou à Polytechnique, il faut travailler jour et nuit.

Il ne s’agit donc plus, aujourd’hui, d’apprendre et de transmettre, mais de mettre en examen et de déconstruire :

Après Les Héritiers, les choses ont encore empiré, car on en est venu à remettre en question l’héritage lui-même. Au départ, on a dénoncé le monopole de la bourgeoisie sur le capital culturel mais, par la suite, on a questionné la valeur même de ce capital. Bourdieu et Passeron parlaient encore de la « bonne volonté culturelle » de la petite bourgeoisie. Par la suite, dans La Reproduction, Bourdieu désignait la culture générale sous le nom « d’arbitraire culturel ». Ainsi, le contenu de la culture transmise par la bourgeoisie n’a plus de valeur particulière, ce n’est qu’une culture parmi d’autres, qui s’impose parce qu’elle est dominante. Et puis ce mouvement s’est encore radicalisé avec le phénomène woke, et la mise en cause des DWEMS (les Dead White European Males), ces représentants d’une culture non seulement dominante, mais sexiste et raciste. Il ne s’agit donc plus, aujourd’hui, d’apprendre et de transmettre, mais de mettre en examen et de déconstruire. Le malheur de notre temps est précisément cette grande répudiation de l’héritage, par un présent arrogant, qui pense avoir trouvé la solution du problème humain dans la chasse à toutes les formes de discrimination.

François-Xavier Bellamy – Je partage absolument le diagnostic que vient de poser Alain Finkielkraut. En réalité, Pierre Bourdieu a produit l’école qu’il dénonçait : en disqualifiant l’héritage, il a fait des déshérités. Je l’ai vécu comme professeur dans le secondaire pendant une dizaine d’années : aujourd’hui, selon que l’on vient d’une famille favorisée ou d’une famille aux marges du « capital culturel », les chances de s’en sortir ne sont pas du tout les mêmes.

« Lorsqu’on est victime de l’injustice scolaire, on n’a même pas les mots pour dire, ni pour penser, la privation que l’on a vécue. »

Nous avons le système scolaire le plus inégalitaire de tous les pays de l’OCDE. Ce simple fait devrait tous nous empêcher de dormir, car c’est la plus grave des injustices. Lorsqu’on est victime d’une injustice économique, on peut s’en plaindre et demander réparation ; lorsqu’on est victime d’une injustice politique, on peut la contester publiquement ; mais lorsqu’on est victime de l’injustice scolaire, on n’a même pas les mots pour dire, et pour penser, la privation que l’on a vécue. Tant de jeunes Français sont aujourd’hui condamnés à cette relégation, qui détruit de l’intérieur le principe même de la vie civique.

 

 

Pourquoi avoir choisi de faire de la politique plutôt que de continuer à enseigner la philosophie ?

François-Xavier Bellamy – Je n’avais pas prévu de faire de la politique. Mais la vie m’a donné des occasions imprévues de m’engager, et j’ai accepté cette mission ; quand on s’inquiète d’un monde qui semble en train de se défaire, comment renoncer à une chance d’agir pour reconstruire ? En entrant dans le champ politique, j’espère prolonger mon travail de professeur d’une autre manière.

L’enseignement reste néanmoins essentiel ; et je voudrais dire toute ma reconnaissance envers mes collègues qui continuent d’enseigner, malgré le moment de délire dans lequel est plongée l’Éducation nationale, à force de déni de réalité. Le ministre Pap Ndiaye est actuellement en train de présenter son « pacte » aux enseignants, qui consiste à leur demander un travail supplémentaire incompréhensible, révélateur de l’artifice complet qu’est devenu le monde éducatif, où l’on parle de tout sauf d’enseigner. Ce « pacte » atteint un sommet de fiction tragique, ou comique, comme on voudra : il est désormais question de distribuer des « demi-pactes », ou des « pactes et demi », en fonction des choix que feront les professeurs. Tout cela n’a plus aucun sens ; et beaucoup de mes collègues sont piégés dans un douloureux sentiment d’absurde. La faillite de l’école est, à bien des égards, comparable à d’autres effondrements que nous connaissons aujourd’hui, par exemple celui de l’hôpital public. La seule différence, c’est qu’à l’école, on ne voit pas des gens mourir sur des brancards ; il est donc plus facile d’oublier la gravité de la crise qu’elle traverse. La question éducative semble toujours au dernier plan de nos préoccupations collectives. C’est dramatique, car c’est notre avenir qui se joue là.

Vous êtes tous les deux des Européens attachés à l’identité nationale. Mais l’UE est-elle aujourd’hui compatible avec la nation ?

François-Xavier Bellamy – Il ne s’agit pas de savoir s’il faudrait plus d’Europe ou plus de nation. Une union authentiquement européenne commencerait par reconnaître la singularité de son propre modèle de civilisation. L’Europe n’est pas une construction, un projet, une structure administrative ou institutionnelle, c’est une civilisation qui a commencé il y a plus de vingt-cinq siècles. Ainsi, nous sommes liés ensemble, pas seulement par une proximité géographique ou par des intérêts communs, mais d’abord par des principes que nous héritons de cette histoire millénaire. Et c’est cela qui pourrait donner son sens à l’union européenne. Mais parce qu’elle se refuse à penser cette histoire, l’Union européenne se tourne contre ses propres racines. La Commission, il y a un an, voulait interdire à ses fonctionnaires de souhaiter « joyeux Noël », pour être inclusive ; et en même temps, également au nom de l’inclusion, elle finançait une campagne de publicité affirmant que « La liberté est dans le hijab »… Cette commission mérite bien peu d’être appelée européenne.

« L’Europe n’est pas une construction, un projet, une structure administrative ou institutionnelle, c’est une civilisation qui a commencé il y a plus de vingt-cinq siècles. »

L’Europe ne peut être un grand tout uniformisateur ; nous ne serons jamais la Chine ou les États-Unis, qui sont chacun liés, par exemple, par une langue commune. Nos pays européens ont une civilisation en commun, mais chacun une culture propre. Ces singularités sont l’indice de la fécondité de notre civilisation, qui a partie liée avec la pluralité. Face à une mondialisation qui se réorganise, à des défis technologiques inédits, à la rivalité d’empires immenses en devenir, l’Europe doit être à la hauteur de sa mission historique. Fondée sur le triple héritage d’Athènes, de Rome et de Jérusalem, elle a quelque chose à dire au monde sur la raison et la liberté, sur le sens du bien commun, et sur la dignité infinie de la personne humaine.

 

 

Alain Finkielkraut – L’Union européenne s’est conçue, dès l’origine, non comme une civilisation, mais précisément comme une construction, ce qui pose des problèmes. Elle a voulu faire table rase du passé européen, du passé de guerre, de conflits nationaux exacerbés… Elle s’est donc voulue, d’entrée de jeu, post-nationale. Les bâtisseurs de l’Europe se sont pensés non comme des héritiers, mais exclusivement comme des innovateurs. Le modèle absolu de ce comportement était la culpabilité allemande. Les plus européistes des Européens sont des philosophes et sociologues allemands, tels que Jürgen Habermas qui entend substituer au patriotisme substantiel un patriotisme constitutionnel, c’est-à-dire l’amour exclusif des normes, des lois et des valeurs. On retrouve là encore le thème de la répudiation de l’héritage. Nous avons été jusqu’à envisager la candidature de la Turquie dans l’Union européenne. Pour croire que la Turquie fait partie de l’Europe, il faut que l’Europe elle-même ne fasse plus partie de l’Europe.

La convention citoyenne sur la fin de vie va rendre ses conclusions fin mars, et va sans doute ouvrir la porte à ce que certains appellent le droit de mourir dans la dignité, et d’autres, l’euthanasie. Qu’est-ce que cela vous inspire ?

Alain Finkielkraut – Je n’aime pas l’idée de « mourir dans la dignité ». Ceux qui choisissent de vivre jusqu’au bout, ne sont pas pour autant indignes. Mais je n’aime pas non plus qu’on adopte une position de principe au nom du serment d’Hippocrate ou du « Tu ne tueras point ». On peut prendre l’exemple d’une personne qui est au bout du bout de l’Alzheimer, de la démence sénile. Elle ne communique plus, ne parle presque plus, son visage est inexpressif, et un jour, en murmurant, elle demande à un proche de l’aider à partir. Que faire face à une demande pareille ? Pour moi, la morale n’est pas le souci de la morale, mais le souci d’autrui. Il ne faut pas se réfugier dans le cinquième commandement, mais prendre ce cas pour ce qu’il est, aider cette personne en lui accordant une mort miséricordieuse. La médecine peut tout réparer aujourd’hui, le corps est devenu un appareil, sauf le cerveau. Par conséquent, comme l’a écrit la neurologue Anne-Laure Boch, la médecine fabrique des handicapés, des nonagénaires vivants mais déments. Je crois qu’il faut se mettre à l’écoute de leurs demandes, c’est la conception que je me fais de la morale.

François-Xavier BellamyLa question de l’euthanasie ne peut appeler simplement des réponses de principe, qui feraient l’économie de la grande difficulté des situations vécues. L’essentiel me semble être de se demander, comme l’a fait Alain Finkielkraut, ce que nous devons répondre lorsque s’exprime auprès de nous, personnellement ou comme société, la demande de la mort. Il y a bien sûr ces fins de vie extrêmement difficiles – mais l’appel de la mort ne se limite pas à ces situations : en Belgique, l’euthanasie est possible pour les souffrances physiques comme psychologiques ; pourquoi la douleur de jeunes atteints de dépression ne serait-elle pas prise au sérieux ? Mais en réalité, quand quelqu’un demande à mourir, il y a deux manières de réagir : la première consiste à l’aider à partir. La deuxième consiste à se demander où nous avons échoué pour qu’elle en arrive là… Si un ami me demande de l’aider à en finir, je crois que mon devoir n’est pas de le tuer, mais de tout faire pour qu’il retrouve la vie. Quand la médecine accompagne vraiment ceux qui souffrent, la demande de la mort disparaît, parce que le vivant, par nature, ne veut pas mourir. Pour qu’il en arrive à vouloir mourir, il faut un immense échec de la société, qui a manqué d’entourer et de soigner comme il le faudrait.

« Quand la médecine accompagne vraiment ceux qui souffrent, la demande de la mort disparaît, parce que le vivant, par nature, ne veut pas mourir. »

C’est trop souvent le cas aujourd’hui, dans notre système de soins tellement fragilisé. Vingt-six départements en France n’ont aucun service de soins palliatifs ; si on apprenait qu’il y avait un seul département en France sans commissariat de police, il serait construit dans la semaine ! Comment accepte-t-on qu’il y ait autant de lieux où l’on meurt mal en France ? Ce n’est pas les mourants qu’on abandonne qui perdent leur dignité, mais la société qui préfère encore leur offrir de mourir au lieu de se donner les moyens d’accompagner, d’entourer, de soulager la vie, jusqu’au bout.

Nomination au poste de vice-président exécutif des Républicains

François-Xavier Bellamy

Cette semaine, Eric Ciotti a annoncé sa volonté de me nommer vice-président exécutif des Républicains, ainsi qu’Aurélien Pradié. Je le remercie de sa confiance, et de la responsabilité importante qu’il me donne ; il sait pouvoir compter sur mon engagement total pour l’épauler dans sa mission à la tête de notre parti. Ma volonté est toujours la même, celle de tout donner pour que la droite offre à la France l’espérance dont elle a tant besoin ; et je serai heureux d’y travailler à ses côtés.

Je voudrais bien sûr redire ma reconnaissance fidèle à Bruno Retailleau : après sa très belle campagne, il n’a rien voulu obtenir pour lui-même, cherchant seulement à assurer que son équipe, et les adhérents qui l’ont soutenu, soient pleinement représentés dans la direction du parti. Demain, avec tant d’amis qui l’ont suivi, nous travaillerons pour faire vivre au sein de notre famille politique la volonté de renouvellement profond qu’il a incarnée dans cette campagne, au service de la refondation dont la droite française a tant besoin.

Il ne s’agit pas de faire vivre des divisions, dont notre camp a déjà tellement souffert, mais au contraire d’agir tous ensemble pour reconstruire une alternative sérieuse et crédible, dans un moment critique pour la vie démocratique de notre pays. La France a besoin d’une droite claire, solide, intelligente, enracinée et inventive, qui puisse lui redonner confiance en l’avenir. Le défi est immense – non pas pour notre parti, mais pour notre pays. C’est avec chacun d’entre vous, chers amis, que nous le relèverons.