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La clarté et la constance

Entretien à L’Express initialement paru le 15 mai 2021.

L’Express : La secrétaire d’Etat Sophie Cluzel ne présentera pas de liste de la majorité présidentielle pour les régionales en Paca, se rangeant derrière Renaud Muselier. La liste du président sortant comportera d’autres membres de LREM, et devrait écarter les parlementaires de toute sensibilité, y compris de droite. Souhaitez-vous que LR retire son soutien à Renaud Muselier, comme le demande Bruno Retailleau ?

François-Xavier Bellamy : Bien sûr. Ce dénouement était parfaitement prévisible, et c’est pour cela que j’avais voté contre le soutien accordé à Renaud Muselier lors de la Commission nationale d’investiture (CNI) du 4 mai, tout comme Éric Ciotti et Bruno Retailleau. Les faits nous ont donné raison. Je n’aurais pu soutenir Renaud Muselier que s’il avait dénoncé la fusion annoncée par Jean Castex, et refusé clairement d’être appuyé par LREM. Mais quelques heures plus tôt, dans le texte qui était supposé « clarifier » la situation, il remerciait encore le Premier ministre pour son soutien… Comment s’étonner de cette issue affligeante ?

Dans cette exigence de clarté, il y a un enjeu de survie pour la droite. Notre famille politique meurt de ces ambiguïtés. Je ne reproche rien à ceux qui soutiennent Emmanuel Macron, chacun est bien sûr libre de ses idées ; mais ils doivent se mettre en conformité avec leurs actes et rejoindre LREM. La droite, elle, doit préparer l’alternance dans la clarté et la constance. Sinon, elle n’a plus de raison d’être. Or je suis convaincu que cette alternance est plus que jamais nécessaire pour la France.

 

Si vous étiez électeur de cette région, pour qui voteriez-vous ?

Je serais déprimé ! Les petits calculs d’En Marche sont un immense cadeau offert à Thierry Mariani, qui apparaît désormais comme la seule alternative à droite pour ceux qui ne se reconnaissent pas dans la majorité présidentielle. C’est d’autant plus affligeant que M. Mariani est clairement une incarnation du pire de l’opportunisme politique. Je l’ai vu encore tout récemment en Arménie, un pays si proche de la civilisation européenne, victime de l’agression unilatérale de l’Azerbaïdjan. Des élus européens comme M. Mariani ont contribué au silence dans lequel des milliers de jeunes ont été tués, parce qu’il entretient les meilleures relations avec cet Etat musulman autocratique, dirigé par des anciens du KGB, qui pratique une corruption à grande échelle dans les institutions européennes. L’attaque menée par l’Azerbaïdjan, appuyée par la Turquie et par des mercenaires djihadistes, a été marquée par des crimes de guerre terribles et documentés ; mais M. Mariani n’a cessé de redire son soutien au dictateur Aliev auprès d’une presse azérie complaisante. Ce n’est que le symptôme d’un comportement politique d’un cynisme affligeant, celui-là même qui nourrit la défiance des Français.

Comment voir dans un tel personnage l’espoir d’un renouveau… Il est d’ailleurs improbable qu’un ancien ministre, député sans discontinuer depuis 1993, nous explique maintenant que la droite a tous les torts – qu’a-t-il fait pendant les trente dernières années ? Si M. Mariani reproche à la droite son bilan, qu’il ait au moins la loyauté de s’effacer, car il en est comptable.

 

La situation en Paca a provoqué un psychodrame chez LR. Cette surréaction ne met-elle pas en lumière la fébrilité de votre parti sur son rapport au macronisme?

C’était une sous-réaction ! Le Premier ministre a annoncé dans le JDD que l’alliance entre LREM et Renaud Muselier amorçait une « recomposition nationale » qui allait voir LR devenir un supplétif du macronisme. Dans ces conditions, la seule réaction légitime était de dénoncer clairement cette manœuvre, de prendre acte du fait que Renaud Muselier était candidat de LREM, et de présenter une nouvelle liste dans la région Sud pour que notre ligne reste défendue. Le psychodrame que vous décrivez aurait été évité si le retrait du soutien annoncé immédiatement par Christian Jacob avait été maintenu.

 

Dans un communiqué publié sur Twitter, vous affirmez que la vie politique suppose une « ligne claire » pour que les électeurs « puissent faire un vrai choix ». Entre le rapprochement avec LREM en Paca ou avec Debout la France en Bourgogne Franche-Comté, la « ligne » de LR est difficile à suivre…

Les petits calculs d’opportunité ne peuvent qu’être un danger mortel pour la clarté de notre engagement. Mais on ne peut pas tout comparer : dans le cas de la région PACA, un Premier ministre vient annoncer dans la presse nationale une recomposition de la vie politique à travers une alliance LR-LREM. Cet épisode est dévastateur pour notre famille politique. Je sais de quoi je parle : nous avons payé très cher, lors des européennes de 2019, toutes les ambiguïtés de la droite pendant les années précédentes. Lors du débat de la semaine dernière, j’ai voulu parler pour tous ceux qui ont perdu les législatives de 2017 à cause des quelques cadres partis de notre famille politique pour un siège de ministre avec Emmanuel Macron, après l’avoir combattu. Ces reniements ont fait du mal, dans l’esprit des Français, même à ceux qui restaient fidèles ; mais plus grave encore, ils continuent de miner de l’intérieur notre vie démocratique. Il ne peut y avoir aucune confiance si la classe politique semble n’avoir ni cohérence ni clarté.

Nous avons payé très cher, lors des européennes de 2019, toutes les ambiguïtés de la droite pendant les années précédentes. Lors du débat de la semaine dernière, j’ai voulu parler pour tous ceux qui ont perdu les législatives de 2017 à cause des quelques cadres partis de notre famille politique pour un siège de ministre avec Emmanuel Macron, après l’avoir combattu.

 

Sur un plan idéologique, le destin de LR n’est-il pas d’être aspiré par ses deux pôles, LREM et RN ?

Non, car ces deux pôles ne sont pas de nature idéologique. Le macronisme n’est pas une doctrine, c’est un opportunisme ; Emmanuel Macron ne construit pas une vision du monde, mais un récit marketing, variable selon la tactique du moment. Au prétexte du « en même temps », il aura dit tout et son contraire sur tous les sujets pendant ce quinquennat…

Ces deux forces politiques ne cessent de changer de discours. Et de manière opportuniste, toutes deux rallient aujourd’hui le cœur intellectuel de la droite. Prenons le sujet européen, par exemple : Emmanuel Macron pourfendait avec vigueur le protectionnisme, il défend maintenant l’autonomie stratégique européenne… Il rejoint ce que nous avons défendu pendant toute notre campagne. Le RN, quant à lui, avait applaudi le Brexit et prônait la sortie de l’Euro comme la condition de tout son programme : il a soudainement abandonné ces idées et parle aujourd’hui de réorienter l’Europe, comme la droite l’a toujours fait.

 

Les Français se positionnent de plus en plus à droite, notait en 2020 une étude de l’Ifop. LR semble ne parvient pourtant pas à en tirer profit. Au-delà des « ambiguïtés » que vous dénoncez, comment l’expliquer ?

Cela tient en partie au fait que la droite n’a pas su reconnaître franchement ce qu’elle n’a pas réussi dans le passé. L’exercice du pouvoir crée toujours de la déception. Nous serions plus crédibles si la droite avait su admettre que son bilan comporte aussi des éléments de la crise que la France connaît aujourd’hui. Je pense par exemple à la crise éducative actuelle : il est clair qu’elle ne relève pas de la seule responsabilité du gouvernement. Notre opposition aux réformes récentes, qui est parfaitement fondée, serait plus audible si elle s’accompagnait d’un regard plus lucide sur le bilan des années passées.

Enfin, il nous a manqué un travail de fond pour renouveler nos propositions. Le travail avance au sein du parti, mais nous n’avons pas de moyen de trancher les options contradictoires qui émergent en interne.

 

Sur les questions économiques, le flou règne. Entre le libéralisme de Bruno Retailleau et les positions plus iconoclastes d’Aurélien Pradié ou de Guillaume Peltier, il est difficile pour l’électeur de droite de s’y retrouver…

C’est vrai. On ne peut que reconnaître qu’il y a de vraies divergences sur ces sujets. Il est légitime que des points de vue différents s’expriment, bien sûr ; mais à la fin, il faut que quelqu’un tranche. A droite, c’est le rôle du candidat à l’élection présidentielle. En le désignant, nous pourrions déterminer notre ligne collective. Or, nous n’avons pas de candidat et nous ignorons comment le choisir.

 

Êtes-vous favorable à une primaire ?

Vous évoquiez les divergences de fond chez LR, particulièrement sur les questions économiques : pour les trancher, il faudra passer par un débat ouvert avec ceux qui souhaitent être représentés par notre famille politique en 2022. Une réunion derrière des portes fermées ne permettra pas d’aboutir à un choix reconnu et légitime. On peut appeler cela primaire ou autrement, mais il faudra susciter une conversation ouverte, et une large participation. Ce n’est pas la primaire de 2017 qui a fait perdre la droite.

 

En 2007, Nicolas Sarkozy défendait le « travail » et l’identité française. En 2017, François Fillon misait sur le réformisme économique et la lutte contre l’islamisme. Quels thèmes devra porter la droite en 2022 ?

Il est difficile de réduire un projet présidentiel à un ou deux thèmes : ces deux campagnes portaient plus que ces intuitions fondamentales. Mais s’il fallait ne retenir qu’une priorité, il me semble que l’urgence est de sauver l’unité de la France. Notre société est aujourd’hui profondément fracturée. Il faut garantir que la loi est appliquée partout en France ; c’est la condition de la sécurité et de la confiance dans nos institutions. La maîtrise des flux migratoires, la reconstruction d’une prospérité économique retrouvée en réorientant l’Europe dans la mondialisation, sont aussi des conditions pour reconstruire cette unité. Et la plus importante sans doute, la reconstruction de notre système éducatif, qui est aujourd’hui dans un état d’effondrement

 

Revenons sur l’actualité. Les tribunes de militaires publiés par l’hebdomadaire Valeurs Actuelles ont suscité la polémique. Vous avez affirmé être « révolté que certains s’en prennent aux messagers, pour ne pas écouter le message« . Mais le sujet n’est-il pas justement ici la légitimité du messager à s’immiscer sur le terrain politique ?

Les signataires précisent explicitement qu’il n’est en aucun cas question pour eux de menacer l’ordre démocratique : ils se préoccupent au contraire de sa stabilité. Personne n’imagine sérieusement que nous sommes à la veille d’un coup d’État militaire, cela n’a aucun sens ! Les militaires sortiraient de leur devoir de réserve s’ils annonçaient leur soutien à tel parti politique, ou refusaient de servir une autorité légitime. Mais il n’est en rien question de cela dans ces textes… Le devoir de réserve n’interdit pas à des militaires en leur qualité de s’exprimer sur les défis stratégiques du pays. Il serait absurde et dangereux de se priver de leur expérience.

 

Le gouvernement en a-t-il trop fait ?

Sa réaction était infondée. Il est normal que le gouvernement rappelle les règles qui régissent la relation des forces armées avec l’autorité politique. Mais l’emphase et la violence avec laquelle on a traité ces militaires retraités, parfois âgés de 80 ans, étaient absurdes et démesurées. Cela fait partie de ce « petit théâtre antifasciste » que dénonçait Lionel Jospin. Le gouvernement joue à se faire peur, car cela sert son récit : il se pose en rempart contre le danger. Mais si la principale menace pour la France était de vieux soldats qui l’ont toujours servie et expriment leurs inquiétudes pour l’avenir, le pays irait bien ! Nos dirigeants devraient avoir bien d’autres combats à mener…

 

La manifestation en soutien au peuple palestinien prévue samedi à Paris a été interdite à la demande du gouvernement en raison de « risques de troubles à l’ordre public ». Vous soutenez cette décision ?

Oui. Il n’est jamais simple d’interdire une manifestation ; il faut faire ce choix avec la main qui tremble, car la liberté de manifestation est une liberté fondamentale. Mais nous devons refuser à tout prix toute stratégie d’importation du conflit israélo-palestinien sur notre sol. Nous l’avons vécu en France, comme en Allemagne aujourd’hui où des “manifestants” se regroupent devant des synagogues pour insulter les juifs : la critique de la politique du gouvernement israélien devient un prétexte pour le retour d’un antisémitisme violent et décomplexé. Nous ne pouvons pas l’accepter.

Non, Monsieur Macron, tout le monde n’est pas à vendre.

Lettre ouverte initialement parue dans Le Figaro, signée avec Olivier Marleix, Arnaud Danjean, David Lisnard, Virginie Duby-Muller, Julien Aubert et Philippe Juvin.

Monsieur le président, en 2017, au lendemain de votre élection, vous vous êtes inventé une majorité avec ceux qui, de droite ou de gauche, avaient vu les portes de leur destinée se refermer devant eux au sein de leur famille politique.

L’absence de plateforme programmatique aurait dû faire paraître douteux ces ralliements sans condition, mais l’enthousiasme suscité par votre élection chez les commentateurs ne leur permettait pas de dénoncer ces démarches pour ce qu’elles étaient : motivées par l’appétit pour le fameux plat de lentilles. Le manque de cohérence programmatique était tel qu’on pouvait croiser dans votre entourage, pêle-mêle, François Bayrou et Robert Hue, quand vous n’alliez pas faire votre cour à Philippe de Villiers.

L’histoire a montré depuis quatre ans que vous-même ne vous embarrassiez pas de cohérence idéologique. Quelle aura été la ligne de votre politique ? Vous annonciez une « révolution », vous n’aurez été, pour l’essentiel, que le continuateur de François Hollande. Après tout, c’est pour le soutenir que vous étiez entré à l’Élysée en 2012, puis à Bercy ; vous êtes désormais comptable de neuf ans de décrochage sans précédent de la France. Vous prétendiez libérer l’économie ? Vous laissez le pays sous le poids d’une dette sans précédent dont la crise sanitaire actuelle n’est que l’excuse – vous n’aurez fait aucun effort pour maîtriser les dépenses publiques, et redonner ainsi une capacité d’action à l’État, depuis le début de votre quinquennat.

Sur le plan économique et social, le « nouveau monde » n’aura offert qu’une énième redite de cette politique sociale-démocrate, faite d’ouverture aveugle au grand marché mondial et de redistribution asphyxiante, sur laquelle se fracasse notre économie depuis quarante ans.

Dans cette continuité aussi, le sans-frontiérisme érigé en dogme aura mené, sous votre responsabilité, à une accélération sans précédent de l’immigration dans notre pays.

Au terme de votre mandat, l’absence d’action, le refus de prendre à bras- le-corps les problèmes qui crèvent les yeux de chacun auront fini d’hystériser notre vie politique et de désespérer les Français. Toute votre énergie est mobilisée non pas à régler ces problèmes, mais à tenter de faire disparaître la seule alternative possible autre que le RN. Votre seule ambition se résume désormais à être un président par défaut en 2022.

Mais vous n’y parviendrez pas. Non, monsieur le président, tout ne s’achète pas. Tout le monde n’est pas à vendre. Notre famille politique est issue du gaullisme. En juin 1940, jugeant moralement inacceptable et insensée au regard de l’histoire – passée et à venir – l’acceptation de la défaite, le général de Gaulle n’a pas hésité à tout risquer pour défendre une certaine idée de la France. Même si elle n’en fut pas toujours digne, cette noblesse d’âme et d’action est l’histoire de notre famille politique.

Notre génération croit fermement que cette morale de l’action, ce courage, cette fidélité, sont plus que jamais nécessaires pour réconcilier les Français. Nous voulons une autre politique que ce sauve-qui-peut des gens heureux quand tant de Français souffrent de notre déclin. Nous voulons rompre avec ce déclin ; et pour cela, renouer avec les priorités que nous n’avons cessé de défendre.

Reconstruire l’économie du pays en donnant la priorité à nos entrepreneurs, plutôt qu’à des investisseurs étrangers comme vous n’avez cessé de le faire, est une ambition qui peut réconcilier le patron et le salarié. Valoriser l’activité et le travail, chercher à faire une place à chacun dans l’économie plutôt qu’étendre une assistance qui relègue, décourage et ruine, est une autre vision du pacte social.

Reprendre en main nos frontières, démanteler les réseaux de passeurs et accompagner les progrès économiques de l’Afrique est la seule façon de répondre au défi migratoire. Restaurer l’autorité de l’État en réformant notre politique pénale pour mettre fin à l’impunité des délinquants est un préalable à la restauration de la confiance dans les institutions et la justice.

Ces convictions, contre toutes vos tentatives de débauchages et de confusion, nous continuerons de les défendre dans le débat public. Les Français ont besoin d’un espoir et l’avenir de chacun de nous n’est qu’un détail au regard de cette responsabilité historique. Non, monsieur le président, tout ne s’achète pas. Il y a des hommes et des femmes qui placent leurs convictions avant leurs ambitions personnelles. Notre devoir est de proposer un autre avenir aux Français, pas de vous servir de roue de secours. Le vôtre est de tenter de vous montrer, autant que vous le pourrez, à la hauteur de vos fonctions pendant les douze mois qui vous restent, pas de vous prêter à d’affligeantes manoeuvres politiciennes. Notre devoir, nous allons l’assumer en proposant un projet neuf de redressement de notre pays, avec des personnalités nouvelles et des idées fortes.

Position sur le sujet de la décision des Républicains pour la région PACA

Beaucoup me demandent ma position sur le sujet de la décision des Républicains pour la région PACA. Voici en substance ce que j’ai exprimé hier en commission d’investiture.
 
Par souci de cohérence, je ne pouvais que voter contre le soutien qui nous était proposé. Comment investir un candidat qui, le jour même, remerciait pour son appui un premier ministre dont la politique est si contraire à ce que nous défendons – quand celui-ci décrivait lui-même le retrait de la liste LREM comme le début d’une recomposition nationale ? Chaque jour qui passe montre que le gouvernement qu’il dirige n’a résolu aucun des problèmes majeurs que la France traverse : c’est la raison pour laquelle nous travaillons sans relâche à combattre, avec respect mais sans concession, les erreurs de cette majorité, pour construire une alternative avec nos amis parlementaires et tant de Français restés fidèles aux engagements de notre famille politique. Comme eux, j’attendais la seule clarification nécessaire, celle qui aurait consisté à décliner ce soutien annoncé par des adversaires, à indiquer qu’il ne pouvait pas avoir été sollicité, et à le dénoncer comme une manœuvre de plus pour détruire notre famille politique et la transparence du débat démocratique.
 
La vie politique suppose que chacun assume une ligne claire, pour que les électeurs puissent faire un vrai choix. Le deuxième tour perpétuel qu’on cherche à imposer à la France est dévastateur, pas seulement pour les partis politiques, dont LREM n’aura finalement gardé que les pires travers, mais pour notre démocratie et pour notre pays. Le scénario des derniers jours ne sert que la tactique à courte vue d’Emmanuel Macron, prêt à tous les calculs pour s’imposer en unique recours l’an prochain ; aucune alliance contre nature ne conduira à une victoire de la droite, dans cette élection régionale en premier lieu. Le premier bénéficiaire du soutien annoncé par Jean Castex à Renaud Muselier est Thierry Mariani, vers qui se tourneront probablement de trop nombreux électeurs opposés à LREM et écoeurés par ces manoeuvres – ce qui me révolte, car j’ai pu mesurer, encore dans des débats très récents au Parlement européen, le cynisme de ce candidat qui prétend incarner un renouveau.
Tout cela est bien sûr désolant, et inquiétant. Une décision a été prise hier, je ne m’exprimerai plus sur cette élection en région PACA. Je ne peux cependant que pressentir que la suite des événements sera difficile. Comme Eric Ciotti et Bruno Retailleau, j’ai alerté sur le risque existentiel que les derniers événements représentaient pour notre famille politique. Je suis bien placé pour mesurer ce que les compromissions, les reniements et les trahisons de certains ont coûté de confiance à la droite au cours des dernières années. Et si je me soucie de l’avenir de la droite, c’est que je reste convaincu qu’elle a aujourd’hui le devoir de reconquérir sa place dans le débat public, non pour elle-même, mais pour la France, qui a plus que jamais besoin d’une alternative solide et crédible. Cela ne pourra se faire sans clarté, sans constance, et sans le courage de la fidélité.
François-Xavier Bellamy

Un peu de sobriété et d’efficacité

Présidence française du l'Union européenne 2022

Entretien paru dans Le Figaro le 24 mars 2021.

LE FIGARO – Comment les eurodéputés LR du PPE appréhendent-ils l’installation d’Emmanuel Macron à la présidence de l’Union européenne le 1er janvier ?

François-Xavier BELLAMY – Nous l’abordons sans esprit partisan, en espérant qu’elle puisse être utile au rayonnement de la France. J’ai eu l’occasion de participer à une première réunion de concertation organisée par Clément Beaune (secrétaire d’Etat chargé des Affaires européennes). Avant chaque présidence tournante, le pays concerné produit une feuille de route pour six mois. Ce n’est pas Emmanuel Macron, ni LREM mais la France qui doit assumer cette présidence européenne, au-delà des clivages politiciens. Représentant la France au sein du plus grand groupe du Parlement, notre délégation est prête à travailler pour que ce moment important aboutisse à des résultats utiles pour l’avenir de notre pays.

Ce n’est pas Emmanuel Macron, ni LREM mais la France qui doit assumer cette présidence européenne, au-delà des clivages politiciens.

Au-delà de la droite, comment le Parlement européen attend-il cette présidence ?

Il ne faut pas que le calendrier électoral conduise l’exécutif à instrumentaliser cette présidence en la réduisant à un exercice de communication. Le grand danger est une présidence aussi bavarde et ambitieuse dans les mots qu’elle sera isolée et inefficace dans les résultats. Fragilisée dans le débat européen, la France est confrontée à des sujets cruciaux et sa voix risque d’être marginalisée car nous sommes en plein décrochage économique. Notre situation actuelle nous classe désormais parmi les pays du sud, lourdement déficitaires sur le plan budgétaire et commercial. Nous ne sommes pas en mesure de donner des leçons. C’est pourquoi il est d’autant plus important que cette présidence française se concentre sur quelques priorités concrètes et essentielles, avec un souci de pédagogie et de résultats.

Pour certains macronistes, Emmanuel Macron devrait en profiter en récoltant les fruits de son interventionnisme européen sur plusieurs sujets, de l’environnement au numérique. Qu’en pensez-vous ?

Objectivement, le bilan européen d’Emmanuel Macron reste très éloigné de ses promesses. Sa facilité pour les discours est inversement proportionnelle à son efficacité dans l’action. Dans le paysage européen, l’essentiel est de convaincre, de se faire comprendre en faisant la pédagogie des positions que l’on défend. Le président français procède plutôt par déclarations fracassantes mais contre-productives. Par exemple, ses mots sur l’Otan « en état de mort cérébrale » ont profondément crispé. Cela a fait reculer la possibilité concrète d’une ambition commune en matière d’autonomie stratégique, et de résultats concrets pour l’industrie de défense. Pour la présidence française, la clef de la réussite serait d’identifier deux ou trois priorités précises et d’en faire la pédagogie : on semble malheureusement se diriger vers une énumération de déclarations et de souhaits qui ressemble à une liste de cadeaux de Noël, et ne peut permettre de vrai progrès. Il serait tragique que cette présidence, qui ne revient que tous les treize ans, soit une occasion manquée.

Pour la présidence française, la clef de la réussite serait d’identifier deux ou trois priorités précises et d’en faire la pédagogie : on semble malheureusement se diriger vers une énumération de déclarations et de souhaits qui ressemble à une liste de cadeaux de Noël, et ne peut permettre de vrai progrès.

Les Marcheurs veulent croire que cette position européenne permettra à leur candidat d’en tirer profit en 2022, notamment en s’affichant comme rempart aux populismes. Quel est votre avis ?

J’espère que le président et son exécutif seront capables de se hisser à la hauteur de l’enjeu. L’Allemagne a remarquablement utilisé cette occasion, en obtenant par exemple la finalisation du traité UE/Chine. Si je suis contre la ratification de cet accord, je constate que les Allemands, sans se mettre en scène, sans poursuivre des intérêts politiciens, ont obtenu un résultat qui constituait une priorité pour eux. Un peu de sobriété et d’efficacité feraient beaucoup de bien à la France. Quant à la mise en scène d’un clivage entre progressistes et populistes, c’est le rêve d’Emmanuel Macron, pas du tout la réalité du débat politique : au parlement européen, les deux plus grands groupes sont ceux de la droite et de la gauche. Emmanuel Macron voudrait exporter à Bruxelles le schéma qui lui a permis d’être élu à Paris, et qu’il décrit depuis le début comme la seule alternative politique possible ; mais il se retrouvera bien seul s’il essaye de raconter cette histoire aux pays européens : au moment où par exemple les Italiens de la Lega cherchent à quitter le RN pour se rapprocher du PPE, le récit d’un affrontement avec un bloc populiste fort n’a pas de sens. Le sujet n’est pas d’être pro ou anti-européen, mais de savoir quelle Europe construire.

Au moment où par exemple les Italiens de la Lega cherchent à quitter le RN pour se rapprocher du PPE, le récit d’un affrontement avec un bloc populiste fort n’a pas de sens. Le sujet n’est pas d’être pro ou anti-européen, mais de savoir quelle Europe construire.

Quel sera l’effet de cette présidence européenne sur la présidentielle en France ?

Si elle parvient à placer l’Europe dans le débat français, ce sera une bonne nouvelle car les décisions discutées en ce moment au sein des institutions européennes sont déterminantes pour l’avenir de notre pays : il est urgent que les Français, informés sur ces enjeux, aient l’occasion de se prononcer.

Photo : Oleg Mityukhin / Pixabay

L’avenir de la droite en Europe : pour une politique de la transmission

Ce texte est le fruit d’un travail de réflexion et d’auditions auquel ont contribué les députés du Groupe du Parti populaire européen (PPE) Isabel Benjumea (délégation espagnole), Christian Doleschal (délégation allemande), György Hölvényi (délégation hongroise), Miriam Lexmann (délégation slovaque), Lukas Mandl (délégation autrichienne), Roberta Metsola (délégation maltaise), et Karlo Ressler (délégation croate), sous la direction de François-Xavier Bellamy (délégation française). Le texte a été adopté par le Groupe PPE à la fin de l’année 2020, suite à sa présentation à l’automne.

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Mayotte, Schengen, séparatisme : entretien à Paris Match

François-Xavier Bellamy à Mayotte

Extraits d’un entretien à Paris Match publié le 26 novembre 2020.

Vous rentrez d’une tournée à Mayotte et vous affirmez qu’aucun développement ne sera possible sans mettre fin aux flux migratoires permanents. N’est-ce pas la politique du gouvernement?

François-Xavier Bellamy. Mayotte est en état d’urgence, face à une situation migratoire hors de contrôle. Malgré l’énergie des équipes qui luttent sur le terrain contre l’immigration clandestine, il faudra des moyens bien plus importants, et une vraie détermination de toutes les administrations, pour éviter d’atteindre un point de rupture. Au fond, Mayotte permet de comprendre le défi qui attend la France dans son ensemble : pour pouvoir reconstruire notre unité, il faut pouvoir mettre fin à notre impuissance sur le front migratoire.

Comment l’Union européenne peut-elle soutenir Mayotte face à ce défi ?

L’Europe a un vrai rôle à jouer sur les sujets migratoires. La Commission doit présenter bientôt son nouveau schéma sur le sujet. J’espère que la réglementation qui sera adoptée mettra enfin un terme à l’idée aberrante sur le plan européen de la relocalisation des migrants : jusqu’à aujourd’hui, la doctrine est qu’en cas de crise migratoire, il faut gérer notre impuissance en se répartissant les migrants entrés illégalement sur le sol européen. Mais cela ne peut être une solution… Le principe qui doit être enfin garanti, c’est que personne ne doit pouvoir s’établir en Europe s’il y est entré illégalement. Ce principe est indispensable pour rétablir la situation, à Mayotte comme pour l’ensemble des pays européens. Ce qu’éprouvent les Mahorais, je l’ai vécu aussi sur l’île de Lesbos, en Grèce : ne pas maîtriser nos frontières n’est pas de la générosité, c’est une impuissance qui prépare toutes les fractures de demain.

Au Perthus, Emmanuel Macron vient de réclamer une refondation des règles de Schengen. Ça va dans le bon sens ?

Enfin ! La droite le demande depuis des années, et je l’ai évoqué tout au long de la campagne européenne, malgré les critiques que cela nous valait. La libre circulation ne peut fonctionner que si nous maîtrisons l’ensemble de nos frontières en Europe. Je suis heureux que le président de la République se rallie à cette perspective. Mais la réalité de son action est malheureusement bien éloignée de sa communication : jamais la France n’a accueilli autant d’immigration légale depuis plus de 40 ans. L’an passé, plus de 300.000 titres de séjour ont été délivrés. C’est un record historique, et un contresens majeur : si on veut empêcher le communautarisme qui fracture notre société, il faut d’urgence mettre un terme à ces flux migratoires massifs. Tout le travail d’intégration, qu’il nous faut rattraper aujourd’hui, sera impossible sans ce préalable. Il faut revenir sur le droit du sol, et suspendre le regroupement familial, que ce gouvernement a à l’inverse étendu aux mineurs isolés. Tant que nous n’agirons pas fermement sur ce sujet, rien ne sera fait dans la lutte contre le « séparatisme ».

Approuvez-vous le projet de loi sur le séparatisme rebaptisé « garantie des principes républicains » ?

Je soutiendrai tout ce qui permettra à la France d’être mieux armée face à la menace islamiste. Mais cette loi me paraît bien éloignée des enjeux. Il suffit de considérer l’improbable pudeur lexicale d’Emmanuel Macron : pourquoi ne pas appeler le danger par son nom ? Samuel Paty n’a pas été décapité par un couteau « séparatiste ». Le faux mineur pakistanais qui voulait s’en prendre à Charlie Hebdo n’était pas animé d’intentions « séparatistes ». Ce qui nous menace aujourd’hui, c’est l’islamisme, qui veut s’imposer par la violence et la terreur. Et pour le combattre, on a moins besoin d’empiler de nouvelles lois que de garantir que d’appliquer celles qui existent. Chaque semaine, des commissariats ou des gendarmeries sont attaqués à coup de mortiers d’artifice, sans que personne ou presque ne soit sanctionné… Commençons par mettre fin à l’impunité et à faire respecter nos lois partout sur le territoire français. Le reste n’est que gesticulation…

Un million de Français auraient basculé dans la pauvreté. Y-a-t-il un risque d’explosion sociale ?

C’est d’abord un drame humain immense. Ce basculement terrible vers la pauvreté doit être pris en compte. Le gouvernement fait ce qu’il peut sur le plan social, mais l’anesthésie des aides publiques ne compensera jamais l’activité perdue, jamais. Il faut absolument tout faire pour que les gens puissent recommencer à travailler et reprendre une vie normale le plus vite possible.

Faut-il rendre obligatoire l’isolement des personnes atteintes du coronavirus ?

Sur ce sujet comme sur bien d’autres, à chaque fois que l’Etat échoue à remplir son rôle, il reporte le poids de l’échec sur les libertés fondamentales des Français. Le vrai problème, ce n’est pas l’isolement des malades, c’est l’échec total de la stratégie de dépistage. L’application gouvernementale supposée servir au dépistage était un échec programmé, dont j’ai averti depuis le début : le résultat est tragique, malgré les sommes investies. Les Français respectent l’isolement quand ils sont testés, mais la stratégie de tests à l’aveugle ne pouvait pas fonctionner. Maintenant le sujet n’est pas de devenir plus répressifs encore, en traitant les malades comme des détenus ! L’urgence est d’avoir enfin une politique de dépistage efficace.

À chaque fois que l’Etat échoue à remplir son rôle, il reporte le poids de l’échec sur les libertés fondamentales des Français.

Est-ce que vous vous vaccinerez contre la Covid ?

Oui, si le vaccin présenté apporte toutes les garanties de sécurité. J’espère surtout qu’on ne manquera pas cette bataille. Au Parlement européen, je vois que nos collègues allemands sont déjà pleinement engagés dans la préparation de la campagne de vaccination, avec une stratégie et une logistique très avancées.

Un Français sur deux hostiles au vaccin, comment l’expliquez-vous ?

La montée de la défiance m’inquiète de manière générale. Nous vivons dans cette « société de la défiance » décrite par Pierre Rosanvallon. Malheureusement, la parole publique a été profondément discréditée par les inconséquences de nos gouvernants. Les mêmes qui nous disaient, il y a quelques semaines, que les masques étaient inutiles voire dangereux, affirment désormais qu’ils sont indispensables… Dans ces conditions, comment faire confiance ? Nous ne mettrons pas fin à cette défiance en la méprisant ou en l’insultant. Seules peuvent redonner du crédit à la parole de l’Etat l’exigence de vérité, de sobriété et de responsabilité.

A la fin, Emmanuel Macron peut-il être le candidat commun de La République en marche et des Républicains ?

Non – ou bien ce sera sans moi ! Je crois au pluralisme en démocratie, à la constance et à la clarté. Emmanuel Macron n’a été convaincant à aucun point de vue, avant même la crise du Covid. Qu’a-t-il fait pour rétablir l’autorité de l’Etat ? Où sont les mesures énergiques pour mettre fin aux flux migratoires qui déstabilisent notre société ? Où sont les mesures pour rétablir nos comptes publics, retrouver des marges de manœuvre et libérer les énergies ? Où est la stratégie pour une transition écologique qui garantisse en même temps la stabilité énergétique, alimentaire, sociale, dans notre pays ? Je n’éprouve aucun plaisir à être dans l’opposition, mais je ne voyais pas de raison de croire au macronisme en 2017 et à l’épreuve des faits il n’y en a pas plus aujourd’hui.

Serez-vous candidat à la primaire ?

Je ferai tout pour contribuer à construire cette alternance, avec le souci de l’unité. On verra bien comment les choses se présenteront.

Je n’éprouve aucun plaisir à être dans l’opposition, mais je ne voyais pas de raison de croire au macronisme en 2017 et à l’épreuve des faits il n’y en a pas plus aujourd’hui.

Bilan de première année de mandat au Parlement européen (2019-2020)

Retrouvez ci-dessous ou téléchargez le bilan de la première année de mandat de François-Xavier Bellamy au Parlement européen.

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Ecologie, institutions, recomposition politique, tensions communautaristes… Entretien au Point.

Photo de François-Xavier BellamyCrédit photo : Le Point / Élodie Grégoire

Entretien au Point paru le 6 juillet 2020. Propos recueillis par Jérôme Cordelier.

Emmanuel Macron a-t-il suffisamment tiré les leçons de la crise ?

L’avenir le dira. De façon générale, et avec Emmanuel Macron en particulier, seuls les actes comptent et les paroles fluctuantes ne permettent pas toujours d’établir des convictions. Le projet du macronisme était d’adapter la France à la mondialisation. A l’inverse, la ligne que nous avons défendue pour l’élection européenne, c’était la nécessité vitale de réorienter la mondialisation, pour réapprendre à produire ce dont nous avions besoin. Ce message a été tragiquement confirmé par la crise sanitaire, qui a révélé combien nous étions démunis. Aujourd’hui, le président qui a cédé Alstom énergie, Technip ou Alcatel, et qui vient de fermer Fessenheim, parle de retrouver notre autonomie nationale : peut-on le croire ? Le « nouveau monde » s’est dissous dans l’épreuve d’une crise qui nous a rappelé brutalement à l’essentiel : comme je l’avais écrit dans Demeure, la première vertu politique n’est pas le rêve de tout changer, mais la prudence, l’effort nécessaire pour préserver ce qui doit l’être, et pour protéger les personnes face aux chocs de l’histoire. Protéger était le mot interdit pour le macronisme 2017 : « le protectionnisme, c’est la guerre », affirmait Emmanuel Macron. Maintenant, il explique que la délocalisation « a été une folie ». Que faut-il croire ? Nous sommes à un moment décisif, et il faudrait un cap enfin clair et courageux pour les deux années qui viennent ; mais il est difficile de l’espérer.

Le nouveau Premier ministre Jean Castex peut-il changer les choses ?

Je lui souhaite bon courage ! Mais tout le monde sait que la politique menée à Matignon ne s’est jamais autant décidée à l’Elysée ; les inconsistances du macronisme ne disparaîtront pas dans l’agitation d’un remaniement, quel qu’il soit.

La France se trouve-t-elle à un moment charnière de son histoire ?

Je fais partie d’une génération qui a découvert le monde à travers le mot de crise : économique, sociale, éducative, écologique… Partout où notre regard se pose, nous trouvons une crise. Le mot « Krisis », en grec, ne veut pas dire « catastrophe », mais « décision ». En ce sens, même si la France a bien sûr connu des moments plus dramatiques, elle a sans doute vécu peu de moments aussi critiques : nous sommes vraiment à un point de bifurcation. Notre pays est en voie de déclassement sur tous les plans. Cette crise a révélé la grande faiblesse de l’État, qui est apparu démuni. L’image que nous avons de la puissance publique est comme la persistance rétinienne d’un pouvoir désormais disparu. Nous touchons du doigt la faiblesse de nos capacités dans le domaine de la santé, de l’industrie, de la défense, de la sécurité, ou encore de l’éducation. Je le dis comme beaucoup de collègues enseignants depuis des années, et cette crise le confirme : malgré l’engagement de bien des professeurs et des élèves, cette improbable session 2020 restera dans notre histoire comme une preuve de ce que nous savions tous déjà, le bac est devenu une immense fiction collective.

Les taux d’abstention record au deux tours des élections municipales sont-ils le signe d’une crise politique structurelle ?

L’abstention est clairement le fait le plus marquant de ce scrutin. Entre les votants du second tour de 2014 et ceux du second tour de 2020, près de cinq millions d’électeurs se sont volatilisés. Il est difficile de comparer les deux scrutins, bien sûr, car il faut le rapporter au nombre de communes concernées par un second tour. Mais entre les deux scrutins, cela représente 20 points d’abstention en plus : c’est considérable. De plus en plus de Français se sentent totalement détachés de ce qui se passe dans la vie politique, jusqu’à l’échelon local qui suscitait encore la confiance des Français. Avec une si faible participation, se sentiront-t-il encore représentés par leurs élus locaux ? La désaffection des urnes est préoccupante. Elle traduit une sécession démocratique. Beaucoup de Français ne croient plus que la politique puisse agir, et leur permettre de maîtriser leur destin. Elle semble simplement devenue un théâtre d’ombres, un jeu de miroirs entre des communicants et des observateurs. Et cet artifice de communication permanente leur paraît n’avoir aucune prise sur le réel. De ce point de vue, les contradictions du « en même temps » macronien, y compris dans la gestion de la crise, auront contribué à abîmer plus que jamais la crédibilité de la parole publique.

Tout le monde a salué votre indulgence, dans une interview à Sud Radio, à l’égard de la porte-parole du gouvernement Sibeth Ndiaye pour des propos qui ont fait polémique, mais qui avait été déformés, ce que vous avez souligné. Avez-vous été surpris par ces réactions ?

Ce n’était pas de l’indulgence, simplement la vérité : je ne soutiens pas Sibeth Ndiaye, mais elle était attaquée pour ce qu’elle n’avait pas dit, même si beaucoup critiquaient de bonne foi ce qu’un extrait tronqué laissait croire. En répondant simplement cela, je n’aurais jamais imaginé susciter autant d’écho. J’ai été touché par les nombreux messages positifs que cela m’a valu, bien sûr, mais en même temps j’en ai été catastrophé. Si l’on y réfléchit bien, ce qui s’est passé est même terrifiant : un responsable politique ne s’engouffre pas dans la brèche d’une polémique infondée, et cela suffit à provoquer une sorte de stupéfaction ! C’est le symptôme d’une situation très inquiétante : la conversation civique s’est transformée en une cascade d’indignations successives, et il semble admis que le débat politique n’a normalement plus de rapport avec la vérité. Des gens dans le métro ou dans la rue m’arrêtent pour me dire : « On vous aime bien parce que vous pensez ce que vous dites. » Mais comment se fait-il que la sincérité apparaisse comme une rareté ? Le principe même de la démocratie suppose que chacun dise ce qu’il pense, sans quoi tout dialogue est par principe impossible. Nous sommes devant le problème décrit par Kant : une action mauvaise n’est pas universalisable. On peut penser une conversation dans laquelle tout le monde dit la vérité ; mais dans une société où tout le monde ment, le mensonge même devient impossible. Le mensonge n’est efficace en effet que s’il est cru. S’il est admis que tout le monde ment, alors mentir n’a plus d’effet. Notre démocratie est aujourd’hui en état de quasi-impossibilité, puisque un politique est réputé mentir. Quand Emmanuel Macron affirme : « Je vais me réinventer », cela ne sert plus à rien : il n’y a plus que les éditorialistes parisiens pour s’y intéresser. Les Français sont devenus indifférents, et cette indifférence est un immense problème.

Je vois qu’au Parlement européen vous n’avez rien perdu de votre candeur…

Il est quand même incroyable qu’affirmer la nécessité de la sincérité soit perçu comme de la candeur. Le fait de croire à ce que vous dites ne vous empêche pas d’ailleurs de vous révéler bon manœuvrier, habile tacticien, de mener des batailles et d’engager des rapports de force. C’est ce que je fais tous les jours à Bruxelles. Il ne s’agit pas d’être un bisounours. Mais pour que l’action politique ait un sens, il faut qu’elle soit orientée par ce que l’on croit vrai et juste. Le divorce de la politique avec la vérité est tel qu’elle y a perdu son essence même.

On peut chercher la vérité en politique ?

Mais… on ne devrait faire que ça ! Chercher la vérité et la justice, y compris dans les débats que la politique suscite. Je ne suis bien sûr pas seul à percevoir ainsi cet engagement : pendant douze ans comme adjoint au maire dans ma ville, j’ai été frappé de voir l’intégrité et la générosité de tant d’élus locaux qui, avec patience et discrétion, travaillent pour leur collectivité : c’est par leur constance que la France tient debout. Au Parlement européen, je côtoie aussi bien des politiques qui s’engagent avec abnégation et rigueur. En politique, comme dans toute société, et comme en soi-même bien sûr, on rencontre ce qu’il y a de plus médiocre mais aussi de meilleur en l’humain. La configuration du débat politico-médiatique a généralement pour postulat implicite que le politique suit seulement ses intérêts et ceux de sa clientèle. Cette représentation est à la fois fausse, et inquiétante : elle signifie que la délibération collective n’est qu’une fiction, qui ne permet jamais d’échapper réellement à la guerre de tous contre tous.

Le vote écologiste est-il un vote de contestation ou d’adhésion ?

Indéniablement, un peu des deux. La question écologique est majeure. La droite a été fautive de ne pas la travailler plus tôt. Elle a longtemps considéré que c’était une question périphérique ; or elle est centrale : l’un des défis essentiels de la politique est aujourd’hui la préservation des conditions de la vie humaine pour les générations futures – et la préservation de la beauté du monde et de la condition humaine en font d’ailleurs partie. Le mot de conservatisme m’a été souvent attribué, peut-être pour mieux m’y enfermer ; mais l’écologie est un conservatisme. Et dans la tradition intellectuelle et philosophique de la droite, elle aurait dû être une évidence. Pour l’avoir trop longtemps délaissée, nous voyons progresser aujourd’hui une écologie politique qui est à l’inverse l’expression d’un rejet : contestation d’un système économique, de notre capacité à inventer et à produire et, au final, de la place même de l’humain dans la nature. C’est d’ailleurs le talon d’Achille de cette écologie politique : elle peine à dessiner un avenir plutôt qu’à désigner des coupables. En recyclant la vieille passion marxiste pour la révolution, elle refuse la société dont il s’agirait de prendre soin.

Ne trouvez-vous pas curieux qu’Emmanuel Macron se présente à la fois comme un apôtre de la décentralisation et se soit totalement désintéressé des élections municipales ?

Mais Emmanuel Macron n’est pas du tout un apôtre de la décentralisation ! Tout le monde l’a décrit comme un libéral. En réalité, il est très étatiste, jacobin, centralisateur. Pour moi, il incarne moins le libéralisme qu’une forme de technocratie qui rêvait de dépolitisation. La fin des clivages, le « en même temps », c’était une manière de remplacer la politique par la gestion, de dissoudre l’autonomie du politique dans la centralisation bureaucratique. Le rapport d’Emmanuel Macron aux communes est à ce titre très intéressant. La suppression de la taxe d’habitation, par exemple, c’est une rupture historique avec la libre administration des communes, principe qui date de bien avant la révolution française. Cette vision est totalement anti-libérale. Pour ma part, je crois que la renaissance de la France passera par la liberté et la responsabilité. Cela inclut l’Union européenne, bien sûr : si l’on soutient la décentralisation, pour retrouver une décision politique ancrée dans la proximité et la subsidiarité, il est absurde de s’enferrer dans un mythe fédéraliste périmé. C’est pourtant ce que fait Emmanuel Macron quand il parle de souveraineté européenne, et quand il met en œuvre un emprunt commun européen : cet emprunt va conférer une autorité budgétaire inédite à la commission européenne, éloignant encore la décision politique du terrain.

Sur quels combats votre parti, Les Républicains, doit-il fonder son projet politique ?

La question de l’organisation de l’action publique est importante mais elle ne peut être centrale. Nous ne convaincrons pas les Français en leur parlant de réformes institutionnelles, mais des défis politiques concrets qui nous attendent. Il s’agit maintenant de sauver la possibilité de vivre et de bien vivre en France. De rétablir l’autorité de l’Etat, tellement défaillant quand on voit que les bandes rivales maghrébines et tchétchènes qui s’affrontent dans le centre de Dijon signent la paix dans une mosquée sous le regard impuissant des forces de l’ordre – ce qui s’est passé là devrait être un sujet de sidération nationale ! Il faut retrouver notre capacité de produire et de travailler, ce qui veut dire réorienter en profondeur l’Union européenne, pour qu’elle redéfinisse son rapport à la mondialisation, qu’elle sorte de sa naïveté. Un immense travail nous attend pour retrouver notre autonomie dans tous les domaines, pas seulement dans la santé. Prenez, par exemple, la question de l’alimentation : notre balance commerciale en matière agricole est déficitaire, pour la première fois depuis longtemps. La France, malgré sa tradition rurale exceptionnelle, importe désormais plus de produits agricoles qu’elle n’en exporte. C’est le symptôme d’un échec politique majeur, et une vraie menace pour notre souveraineté à l’avenir. Il ne faut pas agir pour éviter la crise passée, mais pour éviter la prochaine… Enfin, et l’essentiel est sans doute dans l’urgence du long terme, si la droite est fidèle à son identité, elle fera tout pour rétablir la transmission entre les générations, pour offrir à nos enfants à la fois la nature et la culture que nous avons reçues et qui sont toutes deux conditions de leur avenir commun.

Dans les polémiques actuelles que charrient les déboulonnages des statuts ou les manifestations « racialistes », voyez-vous un « mémoricide », selon l’expression de Philippe de Villiers ?

C’est une question sur laquelle j’ai tenté d’alerter avec mon livre « Les déshérités », en 2014, soulignant qu’une génération s’était abstenue de transmettre à la suivante ce qu’elle avait reçu. Aujourd’hui, de cette rupture, on paie le prix politiquement. La crise éducative aura un coût démocratique majeur. Etre citoyen suppose de maîtriser la langue commune pour prendre part à la délibération : un Français sur cinq a des difficultés dans la lecture à 18 ans. Etre citoyen nécessite aussi d’avoir des éléments de référence, de comparaison dans le temps, dans l’espace. Je ne sais pas s’il faut parler de « mémoricide », mais il y a une réalité très concrète : les jeunes Français n’ont plus de mémoire, et on voudrait détruire dans leur conscience tout attachement à une mémoire collective, toute capacité à se relier à une histoire qui dure. On veut leur imposer d’être les enfants de personnes. Il ne s’agit pas d’engager une discussion critique sur l’histoire : elle a toujours existé, et c’est une nécessité absolue. Mais des mouvements essaient là de rompre tout lien à une mémoire commune, une mémoire partagée. Quand on met sous cloche la statue de Churchill au cœur de Londres ou que l’on dégrade celle de de Gaulle, c’est que l’on a choisi d’organiser dans les cœurs et dans les esprits une rupture radicale. Et celle-ci prospère sur l’ignorance et ce que cette ignorance produit de pire : une absence totale d’humilité, une arrogance hallucinante à l’égard de l’histoire. Celui qui a appris la complexité de notre passé, celui qui a reçu de ses aînés ne peut pas se comporter avec une telle condescendance et suffisance. On a envie de dire à ceux qui déboulonnent les statues, commencez par donner au monde un peu de ce que ceux que vous attaquez ont su lui offrir. Vous aurez alors conquis le droit de parler.

Pour reconstruire, sortir du mensonge.

Tribune écrite avec Bruno Retailleau et Damien Abad, parue* dans Le Figaro le 6 juin 2020.


Avec la fin du confinement, vient le moment de reconstruire. La France n’est pas sortie de l’épreuve, au contraire. Et comme souvent dans notre histoire, cette épreuve est d’abord une épreuve de vérité. Ce n’est pas tant le virus qui nous a terrassés, que le poids des mensonges accumulés depuis tant d’années. Nous ne surmonterons pas cette crise sans regarder la réalité en face.

La première vérité, c’est que dans la crise sanitaire, ce sont les derniers de cordée qui ont tenu le pays à bout de bras. Le « vieux monde » a permis à la France de tenir. De la caissière au médecin généraliste, de l’agriculteur au gendarme ou au policier, du chauffeur routier au maire rural, ils étaient les oubliés et parfois les réprouvés du macronisme : pas assez mobiles, disruptifs, pas assez “start-up nation”… Ces oubliés sont pourtant ceux qui ont assuré l’essentiel dans l’épreuve, quand tout semblait menacé.

La seconde vérité, c’est que l’Etat a failli. Malgré les énergies et les efforts exceptionnels déployés sur le terrain, il n’a pas su garantir les masques et les tests en quantité suffisante pour endiguer l’épidémie. Nos aînés dans les maisons de retraite sont morts, de la maladie, dans la solitude, et parfois même de la solitude elle-même à laquelle cette pénurie les a contraints. Alors que d’autres pays européens avaient déjà repris une vie normale, notre économie est longtemps restée figée – et chaque jour de cette glaciation va se payer en précarité, en chômage, en faillites. L’Etat s’est révélé incapable d’anticiper, de réagir, d’organiser, bref : de faire ce qu’on attend d’un Etat. L’hypertrophie administrative a asphyxié depuis trop longtemps les priorités régaliennes.

La vérité enfin, c’est que notre nation s’est affaiblie. Pour le malheur des Français, on leur a longtemps expliqué que la mondialisation était forcément heureuse. Qu’on pouvait se passer de fabriquer des médicaments chez nous, puisqu’il y en avait en Chine. Qu’il n’y avait plus besoin de frontières pour nous protéger. Que le progrès perpétuel et la technologie sans frein nous dispensaient de prendre nous-mêmes notre destin en main. Les Français ont été bercés d’illusions, et ces illusions nous ont entraînés sur la pente du déclin.

L’hypertrophie administrative a asphyxié depuis trop longtemps les priorités régaliennes.

Maintenant, il nous faut réagir. Nous avons besoin d’un sursaut national. Car notre salut ne dépendra que de nous.
Quel parent, quel professeur, quel chef oserait dire qu’on peut sortir d’une épreuve par la facilité ? Jamais un peuple n’a surmonté une crise sans un surcroît d’effort.

Ces efforts, c’est d’abord d’en haut qu’ils doivent venir. Nous pouvons faire le constat de faillite de ce millefeuille administratif qui a dispersé les moyens tout en compliquant la décision et en décourageant l’initiative. Notre Etat, qui prélève plus sur le travail des Français qu’aucun autre au monde, n’a même plus les moyens d’assumer ses missions élémentaires. Il est urgent que la puissance publique arrête de compliquer le quotidien des Français, et se concentre enfin sur l’essentiel. L’essentiel, c’est retrouver notre capacité d’agir, au lieu de subir une compétition perpétuellement déséquilibrée avec le reste du monde ; c’est construire une stratégie de long terme au lieu de céder continuellement aux calculs tactiques du moment. C’est reconquérir notre souveraineté. C’est pourquoi notre famille politique devra imposer un profond changement des règles européennes sur la concurrence, mais aussi des réformes audacieuses sur la simplification administrative et la fiscalité. Il faudra enfin redonner aux Français la liberté et la responsabilité sans lesquelles il n’est pas de grand peuple. Toute cette crise l’a démontré : l’Etat doit fixer la stratégie et veiller à l’équité, mais il doit aussi encourager, déléguer, libérer. Il faudra un nouvel acte de décentralisation vers la société civile et vers les collectivités. Désormais, nous ne ferons plus confiance à l’Etat qu’à la mesure de la confiance qu’il nous accordera.

Ceux qui parlent de relocalisations et de réindustrialisation parlent dans le vent s’ils ne disent pas clairement aux Français que cela implique de remettre le travail au cœur de notre société.

Ce sursaut dépend aussi de chacun d’entre nous. Ceux qui parlent de relocalisations et de réindustrialisation parlent dans le vent s’ils ne disent pas clairement aux Français que cela implique de remettre le travail au cœur de notre société. Depuis longtemps, notre pays consomme plus qu’il ne produit et s’offre l’illusion d’un maintien de son niveau de vie au prix d’un déficit chronique qui pèsera sur nos enfants. Nous devons rompre avec ce modèle, qui nous a laissés si démunis face à la crise. Mais cela ne se fera pas sans effort. Il ne peut y avoir de modèle plus solidaire, plus écologique, plus durable, sans retrouver notre capacité de produire ce dont nous avons besoin, et donc sans renouer avec le travail que cela implique. Rappeler cette vérité est plus exigeant que de proclamer de grands principes bavards et consensuels pour le rêve d’après ou de signer des chèques en blanc sur l’avenir. Mais nous prenons le pari que les Français attendent ce sursaut. Ils voient bien que toutes les fictions s’effondrent. Que nous sommes toujours moins prospères et moins heureux, dans un pays qui décroche et s’efface toujours plus.

Nous devons faire de cette crise l’occasion de sortir du mensonge pour sortir de la léthargie.

Et pourtant, nous voyons partout des trésors d’énergie et d’inventivité qui ne demandent qu’à jaillir. Qui ne demandent qu’à être mobilisés. Nous devons faire de cette crise l’occasion de sortir du mensonge pour sortir de la léthargie. Retrouver par notre travail l’espoir de vivre mieux, et de transmettre un pays plus solide aux enfants qui nous relaieront demain. Une plus grande sécurité matérielle, mais aussi et surtout le sentiment d’une confiance, d’une fierté retrouvée. Le sentiment d’être un peuple, qui a encore de grandes choses à faire en commun ! C’est donc maintenant qu’il faut choisir entre le déclin et le renouveau. Si nous savons être courageux et être unis – si nous savons être Français, alors nous saurons reconstruire.


* dans une version condensée | Photo : CC0 Public Domain / G.Hodan (modifiée)