Voici le texte d’un long entretien publié par le journal L’Opinion, dans son édition du mercredi 26 août, à l’occasion d‘une intervention à l’Université d’été du Medef sur le thème de la jeunesse.
Propos recueillis par Claire Bauchart.
– En France, trois ans après la sortie du système scolaire, un jeune sur cinq est toujours chercheur d’emploi, selon un avis du Conseil Economique, Social et Environnemental (CESE) de Mars 2015. Si la crise a sa part de responsabilité, comment en sommes-nous arrivés à un système donnant si peu de place aux jeunes ?
Le modèle français a pour but premier la protection, et il sécurise au maximum ceux qui sont déjà dans l’emploi. Mais du coup, en période de crise, il rend beaucoup plus difficile l’accès au monde du travail pour ceux qui n’y sont pas encore entrés, et notamment les jeunes.
Je suis président de la Mission locale Intercommunale de Versailles, qui accompagne des centaines de jeunes dans leur recherche d’emploi : je vois combien les DRH ou les dirigeants ont tendance à augmenter dans leurs annonces l’expérience qu’ils demandent aux candidats. C’est un filtre utile pour éviter d’être noyé sous les sollicitations ; mais cela constitue de fait un obstacle désespérant pour l’accès au premier emploi. Comment obtenir les années d’expérience que l’on vous refuse d’acquérir ?
– Diriez vous alors que les jeunes sont aujourd’hui une génération sacrifiée ?
Il y a de vraies injustices, c’est vrai, notamment du fait de l’échec de notre système scolaire, qui est devenu le plus inégalitaire de tous les pays de l’OCDE. Mais la France est un pays riche d’opportunités ; à nous de relever les défis dont nous héritons. Devant les drames récents de l’immigration, les situations de pauvreté ou de conflit que subissent tant de jeunes dans le monde, il serait scandaleux de nous poser en victimes.
– Au cours des dix dernières années, le nombre d’entreprises créées par des jeunes de moins de 30 ans a pratiquement triplé, s’établissant à 125 000 pour la seule année 2014, d’après l’Agence Pour la Création d’Entreprises (APCE). Dans le même temps, les incubateurs prolifèrent au sein des grandes écoles. Ces vocations soudaines sont-elles nées d’une envie ou constituent-elles une alternative à un monde du travail peu accueillant ?
L’entrepreneuriat séduit en effet pour plusieurs raisons. Parmi elles, bien des jeunes partagent l’expérience de cette rigidité dans l’accès au monde du travail. S’ajoute à cela l’envie, qui constitue un marqueur de la génération Y, de sortir des cadres, de ne pas se contenter d’un travail salarié souvent perçu comme un obstacle à la créativité.
– Dans ce cadre, cette génération d’entrepreneurs évolue-t-elle dans un contexte favorable à la création ? En d’autres termes, si Mark Zuckerberg avait été français, son entreprise aurait-elle eu autant de succès ?
Si Zuckerberg avait été français, Facebook aurait pris son essor, sans aucun doute… mais aux Etats-Unis ! La France a un vrai problème avec la réussite, et celle de l’entreprise privée en particulier.
Nous avons pourtant effectué un travail important au sein des collectivités locales afin de développer les incubateurs et les pépinières. Une vraie souplesse a été apportée avec la réforme de l’auto-entreprise. Le problème se situe aujourd’hui au moment de l’étape suivante, celle du développement : en clair, quand vous avez besoin de vous financer, et surtout quand vous souhaitez recruter et créer de l’emploi, la complexité du système est telle que tout semble fait pour vous en dissuader. C’est terrible à dire, mais aujourd’hui, le principal ennemi du dynamisme économique français, c’est l’Etat.
La prise de risque n’est absolument pas accompagnée. Ne nous étonnons pas que les jeunes qui ont un projet fort le portent si souvent à l’étranger…
– Dans un monde économique en crise par ailleurs bouleversé par la mutation numérique, les jeunes, qu’ils soient diplômés ou pas, issus de classes sociales modestes ou aisées, estiment-ils avoir des rôles-modèles auxquels se référer ?
Arrive aujourd’hui sur le marché du travail une génération, dont je fais partie, qui a grandi dans l’omniprésence de la crise. Depuis que nous avons une attention au monde, on nous parle de crise partout : crise économique, crise de la dette, crise de l’emploi, crise écologique, crise politique, crise de l’éducation… Ce diagnostic permanent peut fragiliser la légitimité des responsables auxquels nous devons la situation dont nous héritons.
D’autre part, cette génération vient après la chute du mur de Berlin, et la fin des grandes idéologies. Les partis de gouvernement sont devenus gestionnaires : difficile d’y trouver des visions fortes et singulières. Nous sommes un peu orphelins sur le plan politique : l’idéalisme auquel aspire souvent la jeunesse peine aujourd’hui à s’incarner.
Et pourtant, contrairement à ce que l’on ne entend parfois, je crois que de nombreux jeunes cherchent à être accompagnés par des aînés. Je le constate par exemple au sein de la Mission locale : le système de parrainage qui relie des cadres seniors et des jeunes est extrêmement bénéfique, et les jeunes le plébiscitent.
Nous avons donc beaucoup à gagner dans la reconstruction d’un vrai dialogue entre les générations, y compris pour le dynamisme économique de nos entreprises et de notre pays.
– Une étude d’Ernst & Young publiée en 2014 pointe une « révolution des métiers » : 90% des dirigeants prédisent des transformations majeures concernant les métiers de leurs équipes. Comment adapter notre système éducatif aux défis du monde moderne ?
Nous devons refaire de l’école le lieu de transmission des connaissances fondamentales. Apprendre le code informatique en CE1 me paraît dérisoire quand, selon la Ministre, plus de 23% des jeunes de troisième ont de grandes difficultés en mathématiques, et près de 20% en français.
Je crois que l’école se trompe lorsqu’elle court derrière les dernières nouveautés. Mieux vaut transmettre à un enfant les éléments d’une culture fondamentale (maîtrise de la langue, du raisonnement scientifique, de l’histoire, de la géographie…) : c’est cela qui le rendra capable de s’adapter, d’imaginer, de chercher. Les créateurs de Google n’avaient pas fait de code informatique à l’école…
– Crise omniprésente, difficultés à accéder à l’emploi, nouveaux usages numériques… Ces nombreux bouleversements engendrent-ils une redéfinition de l’ambition professionnelle au sein des jeunes générations ?
Pour la première fois, les jeunes sont majoritaires à estimer, dans toutes les enquêtes d’opinion, qu’ils vivront moins bien que leurs parents. Cela modifie en profondeur la manière dont ils appréhendent le monde du travail. La génération qui nous a précédés est entrée sur le marché de l’emploi accompagnée d’une promesse de prospérité, de croissance, de progrès économique… Cette perspective a forcément changé : marqué par un climat de crise, l’état d’esprit des jeunes n’est pas tant de s’engager dans la vie avec enthousiasme et un esprit conquérant que de tenter de se protéger au maximum d’un monde du travail perçu comme un espace de difficultés, et d’inquiétante incertitude. Par ricochet, les sondages[1] montrent à quel point la famille est une valeur importante, une véritable valeur refuge, pour les jeunes : beaucoup cherchent ce lien avec leurs aînés qui les aidera à s’engager dans un monde complexe.
Un dernier aspect à relever : puisque beaucoup sont persuadés de devoir se résoudre à une sobriété plus grande d’un point de vue matériel, ils cherchent des métiers qui puissent avoir du sens pour eux. C’est une belle exigence pour le monde du travail, qui devra répondre à cette aspiration profonde, que la prospérité économique avait peut-être contribué à éloigner.
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[1] D’après l’Atlas des jeunes en France (éd .Autrement), 85% des jeunes de 18 à 29 ans estiment la famille « très importante. »
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