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C’est maintenant.

Échappé quelques instants du bureau de vote que je tiens aujourd’hui pour aller remplir mon devoir électoral, je profite de ce très court répit pour mettre par écrit quelques brèves réflexions sur la campagne qui se termine.

Nous n’avons pas renoncé à la politique ; et l’élection présidentielle, qui a gardé une importance singulière, nous le rappelle tous les cinq ans. Cette journée ressemble à un rendez-vous régulier, quoique rare, de la France avec elle-même. Il semble flotter sur elle comme une atmosphère étrange de solennité et d’excitation mêlées, de curiosité inquiète, d’impatience fascinée. C’est le jour où l’indifférence n’a plus de sens, et l’ironie plus de prise, elles dont nous sommes pourtant si coutumiers.

Cette fin de campagne me laisse un regret, cette espèce d’amertume que l’on ressent après un rendez-vous manqué. Au lieu que la parole politique, si écoutée en ce temps d’élection, ait été tournée vers un dialogue contradictoire et salutaire, il me semble qu’elle s’est épuisée en d’inutiles invectives. Ce serait d’ailleurs trop facile d’en faire porter la responsabilité aux seuls candidats et à leurs équipes : j’ai été affligé de voir les réseaux sociaux, dans les dernières semaines, se transformer en une vaste cour de récréation, où fusaient les demi mensonges et les mauvaises blagues, où l’on se moquait tour à tour du « flamby » et du « nabot ». Il y a une leçon à retenir, pour chacun d’entre nous : tant que nous répondrons par la caricature à des propositions qu’il faudrait contester par la raison, tant que nous nous refuserons à l’effort d’un dialogue respectueux, sérieux et honnête, il ne faudra pas nous plaindre de la médiocrité de nos dirigeants.

Tout cela est habituel, me direz-vous. Peut-être ; je n’ai pas assez de recul pour en juger. Et je voudrais ne jamais m’y résigner. Car cela ne change rien, au contraire : c’est l’occasion de comprendre l’essentiel.

Tant que nous répondrons par la caricature à des propositions qu’il faudrait contester par la raison, tant que nous nous refuserons à l’effort d’un dialogue respectueux, sérieux et honnête, il ne faudra pas nous plaindre de la médiocrité de nos dirigeants.

Et voilà ce qui me semble essentiel.

Quelque soit le résultat de ce soir, il est au moins une chose certaine : le changement n’est pas pour aujourd’hui. Le changement profond que nous attendons, que j’essayais de décrire en ouvrant ce blog, il ne viendra pas d’en haut. Ceux qui croient qu’à lui seul, un président, quel qu’il soit, peut apporter un changement – ou une rupture, sont voués à déchanter demain – si tant est que cette élection ait vraiment beaucoup enchanté jusque là.

Le changement viendra de nous. Il viendra si nous avons la volonté de porter sur la vie politique, dans laquelle nous sommes tous embarqués, un regard plus lucide, plus exigeant, plus authentiquement préoccupé du bien commun. Il nous reste, me semble-t-il, à convertir le regard que nous portons sur notre société, à considérer avec courage notre avenir commun, pour rejeter fermement tout ce qui le met en péril : les discours qui fragilisent notre unité, les décisions qui menacent le lendemain, les choix qui altèrent la qualité morale de la culture que nous partageons. Toutes ces facilités, le plaisir d’un propos que l’on sait schématique, le soulagement de rejeter la faute sur les autres, la paresse d’une vision à court terme, il faut nous en libérer, maintenant.

Le changement peut venir demain, si cette conversion est pour aujourd’hui !

Ceux qui croient qu’à lui seul, un président, quel qu’il soit, peut apporter un changement – ou une rupture, sont voués à déchanter demain – si tant est que cette élection ait vraiment beaucoup enchanté jusque là.

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Pour continuer la discussion

 

.Voilà, je me doutais bien que mon dernier billet susciterait des réactions contrastées. Je réponds ici brièvement aux dizaines de messages, reçus par mail, en commentaire, ou via les réseaux sociaux. Merci à tous ceux qui ont écrit, pour acquiescer ou contester ! Comme le dit Mélenchon lui-même, « voilà un débat qui nous élève. »

Pour prolonger notre échange, je voudrais préciser quelques points. Mon raisonnement s’appuie sur deux caractéristiques du Front de gauche, dont je m’étonne simplement qu’elles n’indignent personne.

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1) Son rapport à l’histoire : ce mouvement, qui intègre le PCF, n’a jamais eu le courage de rompre avec une histoire pourtant douloureuse – le mot est faible. Le symptôme que je rappelais en est clair : qui a entendu Jean-Luc Mélenchon tonner contre ceux qui arboraient le drapeau de l’URSS dans ses meetings ? Et pourtant, des millions d’innocents sont morts sous ce drapeau, ont été torturés, assassinés, déportés en son nom ! C’était il y a vingt ans encore : les aurions-nous oubliés au point de s’accommoder d’une telle nostalgie chez nous, aujourd’hui ? Que tout ceux qui m’ont parlé d’un détail, par pitié, relisent Havel, Koestler, Soljenitsyne et tant d’autres ! Il en va de notre devoir de mémoire. Et, en ce jour du Souvenir de la déportation, je m’effraie de nous trouver si anesthésiés, si peu capables de révolte, sur un détail aussi terrible.

On pourrait discuter des heures pour savoir si le projet communiste doit être condamné au nom de ses réalisations historiques ou contemporaines. Mais ce n’est même pas le débat ici : lorsqu’un drapeau de l’Union Soviétique s’exhibe dans un meeting, la réprobation devrait être spontanée, unanime, absolue ! Ce serait une faute morale que de s’enfermer dans les indignations sélectives d’un conformisme paresseux.

Le simple silence de Jean-Luc Mélenchon et de son mouvement à ce sujet, sa complaisance affligeante à l’égard de Cuba, suffisent donc à me le rendre inquiétant, et à jeter le soupçon sur le rapprochement que François Hollande assume dans sa direction. Dans l’ « hommage au communisme » de ce dernier, il y a d’ailleurs sans doute, hélas, plus de facilité coupable que de conviction erronée…

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2) Son projet pour l’avenir : plusieurs messages me reprochent de jouer sur les peurs, et de caricaturer le discours du Front de Gauche. Soyons sérieux : je sais bien que les chars soviétiques ne sont pas aux frontières du pays, et je ne crois pas avoir excité des inquiétudes que je n’éprouve pas ! « La révolution n’est pas pour demain, le Front de Gauche n’est pas dangereux », me disent beaucoup : à ce compte-là, Marine Le Pen ne le serait pas non plus, qui ne risque pas de prendre l’Elysée avant un bon moment.

Et pourtant ces deux mouvements, quoique sans comparaison possible pour tout le reste, sont effectivement une menace pour notre avenir, me semble-t-il, et pour une même raison : ils ont en commun d’opposer les Français les uns aux autres. Les uns contre les autres. Le FN joue sur la défiance entre Français « de souche » et Français issus de l’immigration. Mais nous sommes tous Français, et nous avons tout à perdre des divisions qui viendraient se créer entre nous ! Jean-Luc Mélenchon a d’ailleurs su le dire, avec force, tout au long de cette campagne. Pourquoi alors être tombé dans le même travers – oui, le même ! – qui consiste à opposer les Français en fonction d’autres critères ? Salariés contre patrons, démocrates contre journalistes, peuple contre gouvernants : voici, non pas la critique (qui est normale et saine), mais la guerre, la lutte à laquelle Jean-Luc Mélenchon n’a cessé d’appeler avec virulence, créant dans une même communauté de destin des conflits d’intérêts d’ailleurs largement fantasmés. Voilà ce qui est grave.

Qu’on n’aille pas me dire qu’il n’y avait pas de la violence là-dedans. Et là encore, que personne ne se réfugie dans l’excuse trop facile. La lutte des classes, que Mélenchon a ressuscitée, c’est la tradition communiste, je le sais bien. Mais cette tradition est mortifère. Elle a détruit, elle détruit, elle détruira encore si nous cédons à son schématisme enivrant. Il est peut-être difficile de le reconnaître, car cette vision du monde est fascinante dans sa belle cohérence ; mais elle porte indéniablement à la haine et à la rancoeur. Cela n’a rien d’anodin.

On m’écrit d’ailleurs que je suis mal informé. J’ai pourtant suivi tous les discours de Jean-Luc Mélenchon, et lu régulièrement son blog – encore une fois, avec l’admiration certaine que j’ai évoquée. Il y était effectivement question, et de belle manière, de fraternité, de tendresse et d’amour. Mais tout cela, entre les ennemis d’une même classe… Car il y a bien, pour le Front de Gauche, un adversaire de classe, un ennemi de l’intérieur. N’ayant pas le temps de faire une compilation, je viens de reprendre l’un de ces discours, au hasard – vous ferez l’expérience à votre tour. J’y trouve le passage suivant :

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 C’est pourquoi il faut réquisitionner, chaque fois qu’ils essayent de s’échapper. Il faut maintenant que nous les menacions (en gras dans le texte). Je vous préviens ! Lorsque le Front de Gauche dirigera ce pays, l’article 410-1 du Code pénal prévoit que ceux qui conspirent contre les intérêts fondamentaux de la Nation en matière économique, environnementale ou financière seront pourchassés, et passibles de peines de prison et d’amendes. Je vous préviens : si vous conspirez avec des fonds de pension, vous relevez du Code pénal ! Si vous conspirez avec des gens qui décident de fermer l’unique usine d’acide acétique du pays, vous serez pourchassés ! Si vous laissez fermer la seule usine qui produit de l’insuline dans notre pays, vous serez pourchassés !

Discours au meeting de Besançon, 24 janvier

 

Si cela n’est pas un jeu dangereux avec la haine, je ne sais pas ce que c’est. La mise en scène de ce ils, par qui que ce soit, quelle que soit la classe politique ou sociale qu’il recouvre, sert à créer cette fracture dont nous pourrions bien ne jamais nous remettre. Il y a des patrons délinquants – comme il y a des immigrés délinquants, et tous les délinquants doivent être punis. Mais on ne saurait jeter l’anathème sur ce ils anonyme, entretenir la haine des patrons ou la haine des immigrés, sans compromettre gravement l’unité de notre pays. Voilà ce qui doit être dénoncé, aussi fermement à droite qu’à gauche, même et surtout si cela demande du courage !

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Je conclus par là : encore une fois, je ne conteste pas la générosité profonde qui a animé bien des militants du Front de gauche pendant cette campagne. Mais je voudrais que nous dépassions ensemble toutes les facilités, toutes les superficialités, pour regarder les faits en face, et les choix collectifs qui s’ouvrent à nous.

Comme je l’ai déjà écrit ici, en déplorant avec la même franchise une dérive de l’autre bord, nous avons un avenir à sauver. Notre génération va devoir faire face à des défis qui compteront parmi les plus grands qu’un pays, qu’un continent, ait jamais surmontés. Divisés, nous n’y parviendrons jamais. Ceux qui prêchent la guerre entre nous, quels qu’ils soient, fragilisent donc notre avenir commun.

Car le seul avenir possible nous est commun ! Faire croire que nous aurions quoi que ce soit à gagner dans le fait de lutter les uns contre les autres, c’est là un jeu irresponsable et dangereux. Voilà le seul et unique sens de mon précédent billet : comme j’aimerais que nous sachions résister avec autant de force à la tentation mortifère qui nous guette des deux côtés…

Et comme j’aimerais, demain, pouvoir travailler avec ces jeunes attirés par le Front de gauche, quand ils renonceront à une lutte inféconde, pour tenir ensemble nos fronts communs – pour rechercher avec eux toutes les formes de justice et combattre, avec eux, toutes les formes de pauvreté !

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Indignez-vous !

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Chers lecteurs,

Jusque là, vous l’aurez sans doute remarqué, je m’étais abstenu de publier toute analyse sur les élections présidentielles en cours. Le sujet suscite une littérature assez abondante pour que j’évite d’y ajouter un commentaire supplémentaire. Mais aujourd’hui, en conscience, je ne peux plus tenir cette résolution. Il se passe quelque chose de trop grave dans notre pays.

Un parti a obtenu, dimanche dernier, un score jamais atteint dans les dernières décennies de notre histoire électorale. Un parti pas comme les autres. Un parti qui appelle à la haine entre les Français, qui tient un discours de violence à peine réfrénée, qui excite les peurs et les rejets. Un parti qui jette en permanence le soupçon sur les institutions et les médias qui font vivre notre démocratie.

Plus grave encore : il s’agit d’un parti qui n’a jamais explicitement rompu avec l’idéologie totalitaire la plus meurtrière du XXème siècle. Dont les responsables se sont affichés aux côtés de responsables politiques internationaux notoirement hostiles à la démocratie. Dont les meetings ont vu arborer souvent les drapeaux d’un régime qui a compté parmi les plus inhumains de l’histoire. Des images existent. Des vidéos ont été diffusées, au grand jour, sur les principales chaînes de télévisions. Sans que jamais ce parti ne réagisse, ne condamne ou ne prenne ses distances.

Ce parti a fait un score à deux chiffres. A deux chiffres. En France, en 2012.

Mais il y a pire encore : dans cette période d’entre-deux tours propices à tous les calculs, il semble que l’un des deux finalistes soit prêt à tout pour s’accommoder les faveurs de ce parti, avec lequel aucune tractation ne devrait pouvoir être possible.

Voilà pourquoi je prends la plume ce soir. La démocratie est en danger dans notre pays ; parce qu’un parti extrémiste, aux frontières du respect de notre république, a réussi à attirer des millions de Français en jouant sur les exaspérations légitimes nées de la crise. Et parce que, plutôt que de dénoncer l’archaïsme insensé, l’idéologie haineuse et les complaisances coupables de ce parti, l’un des candidats du second tour, susceptible donc – quand on y pense ! – d’obtenir un prochain mandat présidentiel, semble résolu à pousser l’indignité jusqu’à faire les yeux doux à ce parti pour se rallier ses électeurs.

Oui, vous avez bien lu. François Hollande pactise avec le Front de Gauche. Il a déclaré hier soir qu’il était prêt à gouverner avec des ministres issus de ce mouvement. Il a déclaré ce soir vouloir « rendre hommage à la culture communiste. » Un peu de recul historique, un peu de lucidité politique, un peu de bon sens, enfin, devraient nous faire mesurer toute la facilité scandaleuse, toute la compromission honteuse d’un tel propos !

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Bon, quelques lignes et je suis déjà épuisé de jouer l’incantation de la grande conscience morale… Venons-en au fait : ce petit laïus n’avait d’autre but que de montrer l’incroyable dissymétrie dans le traitement réservé aux deux candidats, notamment dans leur rapport aux extrêmes. J’ai suivi avec beaucoup d’intérêt la campagne de Jean-Luc Mélenchon – et, je dois le dire, avec beaucoup d’admiration. Il y avait chez lui une vision cohérente, un propos fondé et approfondi, une indéniable énergie, la capacité à créer une fraternité dans l’engagement et, qualité hélas de plus en plus rare, un art de la parole qui a fait honneur comme rarement à notre langue.

Mais enfin, bien que je n’aie pu retenir une certaine estime pour le candidat, les faits sont là : le discours de Mélenchon ne joue que sur les haines et les rancoeurs. Il est à l’évidence dangereusement irréaliste dans ses promesses, et donne de fausses réponses à de vrais problèmes. Il crée la division, opposant plusieurs fois le drapeau rouge au drapeau tricolore, qui porte « ces couleurs que nous n’aimons pas. » Il appelle à l’insurrection, contestant explicitement les institutions républicaines. Il témoigne d’une complaisance répétée à l’égard de régimes connus comme des dictatures meurtrières. Il est candidat du parti communiste, enfin, le seul qui n’ait pas changé de nom, ni de sigle, ni d’hymne, ni de journal, ni d’idéologie, depuis son affiliation à l’Internationale de Lénine en 1920, assumant ainsi l’histoire la plus sanglante qui ait traversé le siècle dernier. Et voilà le mouvement que M. Hollande voudrait intégrer à son gouvernement ? Voilà la « culture communiste » à laquelle, ce soir du 27 avril 2012, il cherche encore à rendre hommage ?

 Je sais, vous pensez sans doute que Marine Le Pen est vraiment méchante, elle, et que le camarade Jean-Luc a quand même un côté sympa. Vous allez me reprocher cette critique, parce que parler des ravages que le communisme a laissés derrière lui au XXème siècle, c’est déjà un peu douteux, hein. Cela étant, je ne doute pas, moi, de la sincérité, de la générosité de l’engagement de nombreux militants du Front de gauche ; mais aucune générosité n’est suffisante sans le courage de l’honnêteté intellectuelle. Parlons franchement : attaché à la démocratie comme à l’une des conquêtes les plus précieuses de notre histoire encore récente, comme à l’une des plus coûteuses aussi aux générations qui nous ont précédées, je ne peux pas ne pas trouver le propos de Jean-Luc Mélenchon dangereux, et la manoeuvre électoraliste de François Hollande irresponsable et immorale, de la part d’un candidat à la présidence de la République.

On se bornera à constater qu’on fait à Nicolas Sarkozy un procès bien plus acharné pour un rapprochement bien moins évident avec Marine Le Pen. M. Sarkozy a beau répéter qu’il ne gouvernera pas avec le FN, qu’aucun accord ne se fera pour les législatives, qu’il n’a aucune estime pour le combat que mène sa candidate, on s’obstine à le dénoncer comme un crypto-fasciste, et des élus socialistes – oui, des élus ! – ont poussé le triste ridicule jusqu’à l’assimiler à Hitler. Malgré tout ce que j’ai écrit ici, je n’assimilerai pas M. Mélenchon à Staline. Les raccourcis historiques sont malhonnêtes, lorsqu’ils sont à ce point infondés qu’ils finissent par insulter les véritables victimes du totalitarisme en banalisant, dans un sens comme dans l’autre, l’idéologie qui les a broyées ; ils sont doublement malhonnêtes, qui plus est, lorsqu’ils fonctionnent si évidemment à géométrie variable…

 

Je reviendrai dans les prochains jours sur cette campagne d’entre-deux tours, qui, me semble-t-il, rend si difficile le choix qu’il nous reste à faire…

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La démocratie, sans le peuple ?

Qu’il y ait ou non des civilisations supérieures, l’actualité de la semaine écoulée aura suffi à confirmer que la question ne pouvait rien apporter au débat politique, sinon le prétexte à d’inutiles affrontements idéologiques. Pressons-nous donc de retourner aux choses sérieuses – car heureusement, il y a des propositions sérieuses, qui méritent d’être écoutées avec intérêt et sans idéologie.

J’avoue par exemple ne pas comprendre du tout l’émoi que suscite actuellement, dans les états-majors de campagne, les déclarations de Nicolas Sarkozy ouvrant la voie à un recours au référendum sur quelques sujets précis de la vie économique et sociale de notre pays. Le président cite explicitement, dans un entretien accordé au Figaro, la question du mode d’accompagnement des demandeurs d’emploi ; puis, un peu plus loin et en réponse à une question des journalistes, le sujet de l’immigration et de ses implications juridiques.

De tout l’entretien, c’est cette ouverture qui a été la plus critiquée. L’idée de consulter le peuple français, sur des questions qui concernent pourtant de façon profonde notre conception collective de la justice, de l’équité, du bien commun, hérisse instantanément les concurrents du président presque-candidat. Pierre Moscovici y lit une volonté d’affaiblir la République. François Bayrou dénonce solennellement une attaque contre les valeurs. Ces critiques me paraissent très surprenantes : au nom de quoi, en démocratie, refuser comme une nuisance l’intervention directe du peuple dans les choix majeurs qui engagent son avenir ? Nous n’avons peut-être pas les mêmes idées que M. Sarkozy sur l’assurance-chômage ou l’accueil des immigrés ; mais, sauf à admettre que nous ne sommes pas démocrates, nous ne pourrions que nous féliciter que le prochain président prenne le risque personnel (car c’en est forcément un) d’ouvrir aux citoyens la possibilité d’une participation plus active aux grandes décisions démocratiques.

Cette proposition est un engagement courageux ; c’est aussi une piste utile, et surtout maintenant, que tous les partis républicains pourraient s’approprier. Ceux qui la repoussent aussi vivement ignorent peut-être encore la désaffection profonde que les Français éprouvent vis-à-vis de la vie démocratique de leur pays ! L’histoire d’un référendum volé n’est certainement pas pour rien dans ce désaveu. Revenir à la voie référendaire, et la respecter cette fois-ci, sera sans doute l’un des moyens appropriés pour restaurer la confiance collective dans les procédures institutionnelles. Car le référendum, ne l’oublions pas, est une voie d’expression républicaine des citoyens, prévue comme telle, à égalité avec celle de la représentation parlementaire, par l’article 3 de la Constitution de 1958 : « La souveraineté nationale appartient au peuple, qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum. » Il ne me semble pas qu’il éprouvait, ce peuple, une telle crise de confiance à l’encontre du général de Gaulle, qui prit – et paya – le risque de lui demander son avis par référendum en 1969.

La souveraineté nationale appartient au peuple. Ceux qui s’indignent contre la possibilité même d’un référendum se rendent-ils compte que leur réaction renforce le sentiment d’un détournement de la souveraineté par les élites ? Comprennent-ils qu’elle fragilise cette démocratie qu’ils prétendent défendre ? Ces sujets sont trop graves, diront-ils, ils concernent les plus faibles, les plus fragiles : faudrait-il alors refuser aux simples citoyens de décider de questions importantes ? Les électeurs doivent-ils être considérés comme irresponsables, aveugles au point qu’il faudrait protéger chômeurs et immigrés de leur égoïsme stupide, sourds au point qu’ils ne pourraient entendre des arguments de justice et de solidarité ? Et pour tout dire, sur ces sujets essentiels, ne serait-ce pas l’occasion de vider l’abcès, de se dire enfin les choses, de se décider ensemble au lieu de se soupçonner réciproquement comme nous le faisons depuis si longtemps ?

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